L’Histoire avec une grande hache


L’Histoire avec une grande hache

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Il y a l’histoire de France. C’est banal, vieillot et manifestement réactionnaire. Il y a l’histoire « des Frances ». Elle est plurielle (c’est tellement plus glamour que le singulier), moderne et progressiste. Rue de Grenelle, chez Najat Vallaud-Belkacem, on a fait le choix de la seconde en modifiant les programmes scolaires pour que l’Afrique et l’islam y trouvent la place qui est supposée leur revenir.

Dans cette tâche prométhéenne – oui, prométhéenne car il faut avoir du courage pour défier Vercingétorix, Louis XIV et Napoléon –, la ministre a reçu le précieux renfort du Comité de vigilance face aux usages publics de l’Histoire (ouf !), le CVUH. Cet organisme méritant regroupe des professeurs d’histoire qui consacrent leurs loisirs – fort nombreux – à couper tout ce qui dépasse. Et, selon la belle formule de Perec, ils écrivent l’Histoire avec une grande hache. Bûcherons infatigables, ils coupent les chênes et les platanes. Et à leur place plantent des palmiers et des baobabs pourtant rétifs à nos climats tempérés.

Pour déboiser ils n’ont pas leur pareil. Du passé ils veulent faire table rase. Plus simplement, c’est de la France qu’ils veulent faire table rase. La production éditoriale du CVUH offre un mélange de grotesque et de burlesque sans que l’on sache lequel des deux l’emporte sur l’autre. Une chose est certaine : ces historiens-là ont beaucoup à voir avec les Lapins crétins. Vous savez, ces petites bêtes affublées d’une ventouse à déboucher les chiottes, vicieuses et stupides, qui poussent des « waaah ! » dès que l’adrénaline monte en elles. Les historiens du CVUH font « waaah ! » chaque fois que l’un des leurs se fend d’un texte sur les somptuosités des empires africains du Moyen Âge. Des historiens crétins donc…[access capability= »lire_inedits »]

« Waaah ! » aussi quand une exposition à l’Institut du monde arabe dévoile les arabesques lumineuses des Mille et Une Nuits sans trop s’appesantir sur les méthodes employées pour fournir aux émirs arabes des esclaves sexuelles. Même bruit extatique après la « courageuse » réforme des programmes d’histoire engagée par Najat Vallaud-Belkacem.

Mais c’est quand cette dernière piétine Finkielkraut, Nora et Gauchet, peu convaincus de la nécessité de touiller un peu d’Afrique et d’islam dans notre marmite nationale, que l’extase est à son comble. Des « pseudo-intellectuels », lâche-t-elle. Et là c’est le bonheur pour les inquisiteurs du CVUH. Des géants sont enfin rapetissés, raccourcis (à la hache comme l’Histoire), ce qui les met au niveau des historiens crétins.

Les historiens crétins ont leurs bêtes noires, et pas seulement Finkielkraut, Nora et Gauchet déjà cités. André Kaspi figure en bonne place sur le « mur des cons » qu’ils ont érigé depuis longtemps, battant par antériorité le Syndicat de la magistrature. Cet individu peu recommandable avait été chargé d’un rapport sur les cérémonies de commémoration. Et, l’inconscient, il écrivit ceci : « Il n’est pas admissible que la nation cède aux intérêts communautaristes et multiplie les journées de repentance. »

Grande, jupitérienne, fut la colère du CVUH, qui dénonça cette « vision héroïsante et ethnocentrée » de l’histoire de France. Une vision défaitiste, soumise et multiethnocentrée, c’est quand même beaucoup mieux… Le même reproche a été formulé à l’égard d’un autre personnage qui vécut un peu avant Kaspi. Il s’agit de Charles Martel, particulièrement détesté depuis qu’il a pris sa carte au FN. Pour les historiens crétins du CVUH la bataille de Poitiers, c’est Poitiers morne plaine ! Une défaite lourde de conséquences. Je force un peu le trait mais sans plus. L’affreux Martel, islamophobe et xénophobe, a avec ses hordes de beaufs racistes massacré des milliers de musulmans innocents. Et, ce faisant, il a retardé de plusieurs siècles l’introduction sur notre territoire de la diversité, dont on sait, grâce au CVUH, à quel point elle est vivifiante et tonique.

Ceux du CVUH coupent tout ce qui dépasse, tout ce qui est grand, tout ce qui est vrai. Tout ce qu’ils ne comprennent pas. Tout ce qui dans le passé, même le plus récent, n’entre pas dans le moule étroit de leurs esprits asservis. Ils aiment se raconter des histoires. Ils haïssent l’Histoire. Et ils montent la garde et montrent les dents dès que quelqu’un s’autorise à dire les faits tels qu’ils furent et non pas tels qu’il faudrait qu’ils aient été.

Comme chez Orwell, c’est le présent, leur présent, qui dicte le passé. Trotski a existé. Staline non seulement le fait assassiner mais aussi raye son nom des livres et des journaux et fait retoucher photos et films pour que son image disparaisse à jamais. Hitler, avec il est vrai moins de recherche dans la perfection, fait de même avec Einstein et tant d’autres, Juifs ou adversaires politiques. Et comme Staline, il réinvente le passé pour le conformer à ses passions. Puisque le peuple allemand est intrinsèquement supérieur aux autres, tout sera mis en œuvre pour que cette supériorité s’inscrive dans la nuit des temps, y compris dans les sombres forêts de la Germanie barbare. Puisque le peuple (russe dans sa version stalinienne) est de toute éternité paré d’ineffables vertus, Ivan le Terrible, un des plus sanglants satrapes qu’ait connus la sainte Russie, sera glorifié. Il coupait en effet les têtes des riches boyards. Aidé dans cette tâche par une milice prétorienne recrutée dans les bas-fonds de la populace moscovite.

De lui, d’Ivan le Terrible, les historiens du CVUH ont gardé la hache. Nul ne la manie mieux qu’eux. Ils font des rondes. Comme tous les vigiles. Leurs suspicieuses pérégrinations les amènent à éplucher les manuels scolaires et à scruter minutieusement les programmes. Leur but étant de réclamer la suppression de toute mention qui tiendrait du « roman national » et d’exiger avec vigueur des ajouts dénonçant les infamies du colonialisme et de l’impérialisme français. Au demeurant, la schizophrénie n’est pas absente de leur démarche : ils saluent Jules Ferry, père fondateur de l’école laïque républicaine, etc., et vomissent ce même Jules Ferry, apôtre de la conquête de l’Afrique, habitée, selon lui, par une race inférieure.

Le CVUH, constitué d’historiens dont la plupart sont enseignants, a deux mamelles (non, non, pas « le labourage et le pâturage », chers à Henri IV et Sully, car ce serait trop ringard…). L’une d’elles s’attache, avec son lait, à purifier la France de la souillure sarkozyenne. Souillure car, pour la première fois dans l’histoire de notre vieux pays, on a vu s’installer à l’Élysée un président nécrophage. Sarkozy, en effet, rôdait nuitamment dans les cimetières de gauche et déterrait, pour s’en emparer, leurs plus précieux cadavres (Guy Môquet, Jaurès, Léon Blum). L’autre mamelle, la plus abondante, la plus nourricière, porte le nom d’« histoire plurielle » et proclame que la France ne peut pas être la France si elle ne s’adapte pas aux populations qui y résident.

Il demeure qu’en ouvrant l’huître du CVUH, on peut trouver des perles. Ainsi, dans un article récent, une historienne se gaussait des nostalgiques de Vercingétorix, Charlemagne et Napoléon qui avaient osé critiquer l’introduction dans les programmes de cinquième de l’étude des empires médiévaux africains Songhaï et Monomotapa. Et c’est ainsi qu’elle écrasait ces franchouillards, adversaires de l’« histoire plurielle » : « Le petit Mohamed ou le petit Mamadou ont quand même le droit de rêver : le petit Corse Napoléon ne fut-il pas un modèle d’“intégration réussie” ? »

Je ne suis pas convaincu que le but de l’enseignement de l’histoire soit de faire rêver « Mohamed et Mamadou » avec les empires de Songhaï et Monomotapa. J’attends d’ailleurs avec impatience que les historiens du CVUH nous indiquent les noms des poètes, des écrivains, des penseurs, des musiciens et des peintres qui ont contribué au rayonnement de ces deux pays africains et mythologiques. J’attends également qu’ils nous disent que Songhaï et Monomotapa étaient connus pour autre chose que la pratique sur une grande échelle d’un esclavagisme monstrueux. Je me demande aussi – bien sûr, par pure méchanceté – pourquoi le CVUH ne milite pas pour la lecture du Rig-Veda, du Yajur-Veda, qui ouvrirait aux élèves les portes d’une civilisation millénaire, celle de l’Inde, et leur permettrait d’accéder aussi à la lecture, bien plus ludique, du Kamasutra… Je m’interroge enfin sur le fait que ces historiens ne croisent pas le fer pour qu’on lise Lao-tseu ou Confucius, dont la pensée fut la charpente d’un monde qui inventa il y a des milliers d’années la boussole, la poudre, l’imprimerie, quand nos ancêtres les Gaulois (je ne parle pas de nos ancêtres africains par prudence) en étaient encore à courir le sanglier dans les bois.

La France est un fabuleux pays d’une diversité historique, culturelle et idéologique exceptionnelle. Il y a chez elle suffisamment d’universalité pour attirer Mohamed et Mamadou. Et comme ils ne sont ni plus ni moins intelligents que d’autres, je ne vois pas à quel titre on prétendrait les « faire rêver » avec les empires africains de Songhaï et Monomotapa…

Je sais bien que la France dont je parle est aux yeux des historiens du CVUH une vieillerie bonne pour le musée. À supposer qu’ils aient raison, je n’ai rien contre les musées. On y trouve de merveilleux tableaux et de superbes sculptures. Des millions de gens viennent pour les regarder, et aucun ne s’aviserait de cracher sur les objets qui y sont exposés. Mais, s’agissant des historiens du CVUH, je ne suis pas sûr… Et puisque nous en sommes aux vieilleries, je trouve bon de rappeler qu’il fut un temps où, dans les villes et sur les routes, on trouvait des restaurants et des auberges avec des écriteaux alléchants : « Ici, on peut apporter son manger. » Les gens de peu, les ouvriers, les employés pouvaient y venir déjeuner qui avec sa gamelle, qui avec son panier de pique-nique, qui avec son sandwich. C’était sympathique. C’était…

Mais aujourd’hui, le monde étant ce qu’il est, et la libre circulation des personnes étant devenue ce qu’elle est, je ne tiens pas à ce que cet écriteau figure au fronton de nos établissements scolaires. En effet, la tambouille préparée dans les cuisines du CVUH me paraît particulièrement indigeste. Je tiens à réaffirmer ici, pour prévenir tout procès malveillant, que je suis ouvert à toutes les cuisines du monde. J’adore la viande halal quand elle est utilisée pour le méchoui. On en sert un, délicieux, près de chez moi, à L’Étoile d’Agadir où je me rends régulièrement. J’ai une prédilection pour le pot-au-feu. Et je vais souvent chez Gérard, qui est orfèvre en cette savoureuse matière. Mais chez des amis à Montreuil où j’étais invité pour goûter à ce noble plat, j’ai fait une très pénible découverte. Leur pot-au-feu avait la consistance d’une vieille éponge et le bouillon présentait de fortes similitudes avec l’eau de vaisselle. Mes hôtes étaient consternés. « Mais vous l’avez achetée où, votre viande ? – Ici, en bas, à la boucherie musulmane. » Connaissant un peu la question, je leur expliquais que c’était une coupable hérésie, la viande préalablement saignée ne convenant absolument pas au plat qu’ils m’avaient servi. Je m’empresse de préciser ici, pour éviter les foudres du CVUH, du MRAP et de la LDH, qu’un pot-au-feu casher serait à l’évidence tout aussi insipide qu’un pot-au-feu halal… La cuisine métissée ne me paraît en effet pas nécessaire à l’épanouissement des élèves de collèges et lycées. Et je ne souhaite pas qu’elle devienne un des piliers de l’Éducation nationale.

Autre perle. Une historienne spécialiste de l’Afrique noire dont j’ai oublié le nom (ce qui n’est absolument pas grave) proteste avec une émotion vibrante contre les tenants réacs de Napoléon et de Louis XIV. Son texte est banal, et pas banal pour L’Humanité qui l’a publié. Mais le titre est formidable : « Le sabre et le goupillon ». C’est pas beau ça ? L’alliance maudite de la brute galonnée et du curé rétrograde. C’est tout frais, tout neuf. Le petit père Combes, grand laïcard devant l’Éternel des années 1900, s’est mis aussitôt à frétiller dans sa tombe. Dans le même texte, que nous avons eu tort de juger banal, l’historienne écrit qu’il nous faut « des Frances dans leurs temporalités multiples, (…) dans leur possible désajustement par rapport au continuum événementiel ». Comme on peut le voir, les historiens du CVUH mènent aussi un combat courageux et méritant contre la langue française.[/access]

*Photo: Wikicommons.

Octobre 2015 #28

Article extrait du Magazine Causeur



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est journaliste et essayiste

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