Aurions-nous eu raison de ne pas nous investir dans le soutien total à Ayaan Hirsi Ali ? Il est trop tôt pour l’affirmer, mais une nouvelle polémique se développe aux Pays-Bas à propos d’un livre pour enfants « à thèse » que l’ex-députée vient de faire publier à Amsterdam. D’après le quotidien britannique The Independant (d’ordinaire peu enclin à la caricature ou au bidonnage), le livre de la récente récipiendaire du premier « Prix Simone de Beauvoir pour la liberté des femmes » raconte l’amitié contrariée entre deux gamins hollandais, Adan le musulman – battu par son père intégriste – et Eva la juive – dont la belle-mère ne pense qu’à accroître sa fortune. On s’en doute, une telle juxtaposition de clichés était de nature à faire grincer quelques dents bataves. Si cette gourderie était avérée (nous lisons mal le néerlandais et, pour l’instant, le livre n’est pas traduit), nous n’en serions que modérément surpris, cette dame ne nous ayant jamais éblouis jusque-là par sa finesse d’analyse. Ainsi, pour Ayaan Hirsi Ali, il n’y a pas et ne peut pas avoir d’islam modéré ; il faut interdire les écoles musulmanes ; il faut réviser d’urgence nos politiques d’immigration, sans quoi la charia s’étendra progressivement à toute l’Europe. Le Parti des Médias a cloué Oriana Fallacci au pilori pour moins que ça. Et la propagation publique d’un tel credo vaudrait immanquablement à Jean-Marie Le Pen un aller simple pour la correctionnelle.
Ne tournons pas autour du pot: c’est aussi grâce aux raccourcis, aux contresens et aux exagérations de quelques supposés experts en islamologie, qu’un Mouloud Aounit réussit à apparaître aux yeux de l’opinion mainstream comme vaguement crédible et somme toute modéré.
Pour nous, il va de soi que rien, même la bêtise la plus crasse, même l’ignorance la plus rayonnante, même les opinions les plus déplorables sur l’islam, le judaïsme, l’homosexualité ou Céline Dion, ne saurait justifier le début d’un commencement de menace sur l’intégrité physique de leurs auteurs. Mais symétriquement, ce ne sont pas les appels au meurtre qui nous dicteront, par ricochet, les idées qu’il convient de défendre. Rien ni personne ne nous contraindra à penser que les cibles de fatwas, d’oukases, ou de censures diverses ont forcément raison sur tout et que leurs thèses seraient incritiquables de par leurs statuts de victimes. Ce victimisme-là, non plus, ne nous sied pas.
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