«C’est évidemment exceptionnel» s’est réjoui Manuel Valls. Les visites des plus hautes autorités de l’État en Arabie Saoudite se suivent et se ressemblent. Les communiqués triomphants annoncent des milliards d’euros de contrats. Promesses d’embauches pour les salariés de France, on additionne pêle-mêle des chiffres de signature en bonne et due forme avec des négociations exclusives, des lettres d’intentions, des appels d’offres ou de simple promesses déjà annoncées lors de précédentes visites. Agences de presse et médias reprennent en chœur le montant « évidemment exceptionnel » du service de presse gouvernemental. La mise en scène concoctée par les communicants terminée tout le monde peut remonter dans l’avion pour Paris avec le sentiment du devoir accompli.
La dernière tournée moyen-orientale de Manuel Valls au Caire, à Amman et surtout à Ryad n’a pas dérogé à la règle. Si les Égyptiens, qui soutiennent l’aide russe à Bachar Al-Assad, ont signé effectivement (et rapidement) des contrats fermes (Rafales et FREMM puis deux BPC), il en est autrement de nos alliés saoudiens. Comme le relève Anne Rovan envoyée spéciale pour Le Figaro , « l’Arabie Saoudite s’était engagée en mai 2015 à signer sur plusieurs années l’équivalent de 50 milliards d’euros de contrats et accords avec la France.(…) En réalité, il n’y a pas de nouveau contrat commercial ferme. Si ce n’est ces 30 patrouilleurs rapides, déjà en discussion, pour un montant total d’environ 600 millions d’euros, que le Royaume commandera d’ici à la fin de l’année. Les éleveurs français ne seront pas mécontents non plus d’apprendre la levée de l’embargo sur la viande bovine française. En revanche, pas de vente d’hélicoptères Airbus, pourtant donnée comme acquise». Bref, hormis la fin de l’embargo sur la viande bovine (qui datait de la crise la vache folle) rien de nouveau sous le soleil.
Alors que des esprits chagrins doutaient en conférence de presse du sérieux des annonces du Premier ministre, Manuel Valls fit une tentative pour clarifier la situation. «Étape par étape, nous approfondissons ce partenariat. Je vous confirme qu’il s’agit bien de 10 milliards d’euros engagés. Nous ne doutons pas un seul instant que ces lettres d’intention seront confirmées (…) L’important, c’est cette perspective, cette dynamique, ce mouvement». Laurent Fabius était tout aussi catégorique; le partenariat franco-saoudien va porter des fruits juteux. «En Arabie saoudite, il va y avoir à coup sûr une politique de diversification, dans le renouvelable et le nucléaire. Le choix est fait». Le choix est fait à coup sûr… enfin si tout va bien! Réponse lors de la prochaine visite du prince héritier Mohammed Ben Nayef en novembre à Paris. Visite qui sera sans doute l’occasion d’annoncer en fanfare de nouveaux futurs contrats, eux-mêmes renvoyés à la prochaine commission franco-saoudienne qui aura lieu en mars 2016 à Paris.
Tous les efforts consentis par la diplomatie française pour plaire à sa majesté le Roi Salmane s’enfouissent dans les sables du désert d’Arabie. La France s’aligne sur les positions saoudiennes sur les dossiers syrien et iranien. Elle compromet ses bonnes relations avec la Russie, l’Iran et même les États-Unis. Elle ferme les yeux sur la destruction du Yémen, sur les condamnations à mort en série d’opposants politiques, sur l’appui aux djihadistes syriens. Elle dit réserver aux entretiens privés les questions sur la condamnation à mort de Ali Al Nimr, un jeune opposant chiite arrêté alors qu’il était encore mineur. Les coups de fouet de Raif Badawi font-ils aussi partie du contrat? Le royaume saoudien ne semble pas plus pressé d’y répondre que d’acheter notre technologie. Le temps joue pour lui. En revanche, le fonds d’investissements de 2 milliards d’euros pour racheter des PME et ETI françaises est bien décompté dans la moisson des contrats. Le bilan est maigre pour une politique arabe dictée depuis Ryad.
La situation de dépendance stratégique et militaire dans laquelle la France s’est placée depuis de nombreuses années réduit les relations franco-saoudiennes à une forme de chantage diplomatique à sens unique. L’Arabie saoudite a pléthore de fournisseurs sur qui elle peut compter quand la France voit la liste de ses clients se réduire à peau de chagrin. L’économie et les armées sont en crise et notre politique étrangère serait toujours indépendante? Qui peut encore le croire en dehors de Fabius et Valls?
*Photo: Sipa. Numéro de reportage : 00726648_000001.
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