Romain Puértolas nous a habitués à être plébiscité par le public et méprisé par les spécialistes, ce qui va régulièrement de pair. On ne peut pas avoir raté ses deux précédents romans, L’Extraordinaire Voyage du fakir qui était resté coincé dans une armoire Ikea et La Petite Fille qui avait avalé un nuage grand comme la tour Eiffel, couvertures colorées et succès international avec des dizaines de traductions pour prolonger le délire. C’était suffisant pour en faire un sympathique auteur de best-sellers chatoyants aux idées courtes. Autant dire qu’en cette funeste année 2015, on le voyait mal se pointer avec un nouvel opus bariolé, un conte à dormir debout cadrant mal avec l’atmosphère électrique du monde entier. On l’imaginait déjà se faire renvoyer des librairies et des plateaux télé à coups de pieds dans le derrière pour plaisanteries et non participation au débat.
Au contraire. Lui seul pouvait faire en sorte qu’on la ferme deux minutes avec les migrants, les salariés d’Air France et le rachat du Parc des Princes par Satan et nous recentrer sur des questions essentielles.
Nous avons vite oublié que la France, avant que tout le monde y mette le feu, était un cocktail détonnant entre une Histoire millénaire et sanglante et le détachement comique de ses habitants. Au mois de janvier, alors que l’idée germait dans l’esprit du romancier, les voix rappelant qu’en France, on devait simplement pouvoir rire de tout, peinaient à se faire entendre. Du coup, pour rappeler cela aux bonnes âmes nostalgiques des « Je suis Charlie » et faire un pied de nez à ceux qui le voyaient en idiot bienheureux, Romain Puértolas décongèle Bonaparte et l’appelle à la rescousse pour nous sauver du péril djihadiste. « Nous », c’est feu son empire, c’est la France; au cas où la définition nous échapperait ces derniers temps, elle est évidente dans l’esprit de l’empereur.
Et le moins que l’on puisse dire, c’est que Re-Vive l’empereur n’y va pas de main morte avec le sarcasme pour tous. On rit en imaginant cette scène épique de « prière de rue »: « Alors que Napoléon se frayait un chemin dans le trafic, un homme sembla être pris soudain d’une irrésistible envie d’étaler un tapis de prière en pleine rue et de s’agenouiller dessus. En quelques minutes, des dizaines de fidèles, pris eux aussi d’une impérieuse envie d’enfoncer leur visage dans le derrière du gars de devant, l’imitèrent (…) », en voyant l’empereur aux prises avec le langage politiquement correct: « Mamadou est noir ! », cette simple remarque déclenche un concert de protestations au terme duquel on lui conseille d’employer plutôt le mot de « black »…
D’autres épisodes, comme la cellule de crise entre Sarkozy, Hollande et Napoléon sont l’occasion de mettre dans la bouche de ce dernier des paroles de bon sens (déchoir de leur nationalité les français vétérans de Syrie), remportant l’adhésion des deux hommes d’État mais qui, partout aujourd’hui, font pousser des cris d’orfraie.
L’empereur est surpris et désolé de voir comme son peuple est devenu une proie atone pour fanatiques, du gibier pour prophète, dont le salut ne peut plus venir que des femmes, – ce qui rappellera de bons souvenirs aux amateurs de jeunes Kurdes et Israéliennes en armes – et plus précisément des danseuses du Moulin-Rouge, seules à arborer encore le bleu-blanc-rouge: « Leurs jambes, levées jusqu’au visage, dévoilaient des porte-jarretelles aux couleurs de la France. Napoléon vit dans tout cela un goût exacerbé pour le patriotisme. Il ne lui en fallait pas plus. Des jeunes femmes motivées. Des jeunes femmes soldats, symboles de cette époque d’égalité entre les genres. »
Avaler d’une traite ce roman hilarant procurera un état de jubilation durable et une bonne humeur communicative, le lire comme une parabole est moins innocent. Sous les éclats de rire transparaissent deux vérités: nous sommes face à un danger tout ce qu’il y a de plus réel, face à lui nous manque et nous manquera un héros.
Romain Puértolas, Re-Vive l’empereur !, Le Dilettante
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