Impasse Laurent Fabius


Impasse Laurent Fabius

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La politique étrangère de la France ne se décide pas qu’au quai d’Orsay. Sous la Ve République, elle prend aussi sa source à l’Elysée parmi les conseillers diplomatiques du président de la République. Mais tous les observateurs s’accordent à considérer que Laurent Fabius, du fait de son expérience et de son ancienneté dans les hautes fonctions de l’Etat, y exerce une influence décisive. Force est de constater que son inspiration est néfaste et nuit gravement à la crédibilité internationale de la France, car elle nous a conduit dans trois impasses.

L’impasse de la politique syrienne, tout d’abord. Malgré la tension et les désaccords de fond qui séparent Washington et Moscou, Vladimir Poutine vient de renouer le dialogue avec Barack Obama en s’entretenant longuement avec lui sur la question syrienne. Même si l’administration américaine marque encore ses divergences avec la volonté affichée par la Russie de sauver le régime de Bachar Al-Assad, il est clair que la position américaine évolue d’heure en heure vers une coordination avec la Russie sur le terrain pour engager le fer contre Daech. Tous les experts militaires reconnaissent d’ailleurs que cette coordination implique le ministère de la Défense syrien pour réserver des couloirs aériens aux avions qui bombardent les positions de l’Etat islamique en Syrie.

Dès son entrée au quai d’Orsay en 2012, Laurent Fabius n’a eu de cesse d’inviter les Occidentaux à former une coalition pour mettre à bas le régime baasiste de Damas. Sur toutes les ondes ou sur tous les plateaux télévisés Laurent Fabius a dressé le portrait de l’abomination des abominations sans vouloir voir que les rebelles qui étaient en train de ruiner le pays étaient pour beaucoup d’entre eux des djihadistes forcenés qui voulaient instaurer un régime bien pire que celui d’Assad. L’appel à la mobilisation de Fabius atteignit en 2013 un tel paroxysme qu’on peut même considérer qu’il tient une part de responsabilité très élevée dans le départ de plusieurs centaines de jeunes Français pour le djihad.

Dans l’affaire syrienne, il serait un peu rapide de taxer la politique fabiusienne d’atlantiste, car les Américains échaudés par les erreurs commises en Irak se montrèrent, dès le début, beaucoup plus prudents que lui. Mais Fabius était sans doute plus bushiste que les Américains eux-mêmes en renouant avec une politique néo-conservatrice qui entend lutter contre le mal partout où il se trouve quels que soient les dégâts que cela peut causer en termes de vies humaines (près de 600 000 morts en Irak) ou en termes de chaos politique et économique. Les désastres de l’intervention libyenne qui étaient encore tout chauds ne lui avaient rien appris.

Laurent Fabius a donc passé toutes ces dernières années à défendre une politique qui tourne ostensiblement le dos à la realpolitik. Et la réalité se venge aujourd’hui en lui rappelant quelques évidences qu’un enfant de cinq ans comprendrait : on ne lutte pas contre un ennemi implacable (Daech) en affaiblissant ceux qui luttent aussi contre cet ennemi sur le terrain (alors qu’on est soit même dans l’incapacité d’engager des forces conséquentes pour lutter contre cet ennemi) – on n’achève pas de détruire un Etat quand les dernières élites éclairées d’un pays résistent tant bien que mal à l’instauration d’un ordre obscurantiste. Mais Laurent Fabius a usé de son autorité auprès de François Hollande (sans doute était-il consentant) pour maintenir coûte que coûte cette ligne absurde. Nous apprenons d’ailleurs ce matin que sur la base d’un dossier constitué par le quai d’Orsay, le parquet engage des poursuites contre Bachar Al-Assad pour crime de guerre. C’est la fuite en avant dans une impasse : aujourd’hui la France, lâchée par l’Allemagne, est la seule à faire du départ de Bachar Al-Assad un préalable à l’engagement massif d’une coalition contre Daech. Et la situation devient pourtant urgente : si la Syrie tombe, combien de temps faudra-t-il pour que le Liban s’embrase à son tour et que nous voyions déferler en Europe des millions de réfugiés ? Et quelles conséquences funestes faut-il imaginer si un Etat dirigé par des fous furieux menace Israël  sur sa frontière nord et est ? Sans doute fallait-il la sagesse d’un autre ministre socialiste pour rappeler à Laurent Fabius le sens des réalités : hier sur France Inter, Hubert Védrine lui a rappelé que pour abattre Hitler, il avait fallu s’allier avec Staline. À bon entendeur…

L’autre impasse de Fabius est corollaire à la première. Elle concerne la Russie. Par incapacité de mesurer le poids des réalités historiques dans la situation ukrainienne, Laurent Fabius s’est fait l’agent constant de l’hégémonie américaine sur l’Europe de l’est. L’affaire des Mistral a montré à quel point la politique étrangère élaborée au quai d’Orsay nous a conduit dans une voie sans issue : un ultimatum lancé à la Russie, sans définir de critères politiques précis et lisibles (il ne lui a pas été demandé d’évacuer la Crimée, mais seulement de changer d’attitude au Donbass ce qui constitue un objectif flou et difficilement mesurable), ni même sans lui offrir de porte de sortie honorable. Il devait arriver ce qui est arrivé, notre diplomatie s’est ridiculisée : aujourd’hui Vladimir Poutine est à New York et discute en tête à tête avec Obama alors que ce dernier a demandé à la France de tenir tête à Poutine. Et Angela Merkel réclame la levée des sanctions vis-à-vis de la Russie.

Si la France avait encore une politique étrangère digne de ce nom, Poutine ne serait pas à New York, mais à Paris et Obama serait venu l’y rejoindre. Car la France a toujours su jouer par le passé le rôle de pont entre l’est et l’ouest. Notre diplomatie n’a jamais rien eu à gagner à nous aligner sur Washington. Au contraire, à chaque fois que nous avons montré aux Américains que nous savions leur résister quand ils commettaient des erreurs (et Dieu sait qu’ils en commettent souvent), nous leur étions utiles pour les aider à les réparer.

Mais pour pouvoir résister aux Américains, encore faut-il en avoir les moyens. Le retour complet et sans condition de la France dans l’Otan n’est pas du fait de Fabius mais de Juppé et Sarkozy. Il a pourtant adoubé cette politique et nous en payons aujourd’hui le prix. Nous sommes redevenus dépendants des Américains pour des pans entiers de notre politique : compte tenu des territoires d’opérations sur lesquels nous sommes engagés à budget réduit, il est devenu illusoire de résister aux injonctions du Département d’Etat. Comment refuser de mettre un ultimatum sur la vente nos Mistral à la Russie quand nous dépendons de la couverture satellitaire américaine au Mali ou en Libye. Après avoir vendu Alstom à General Electric, il ne sera même plus possible de construire un Mistral sans demander l’accord de Washington car les turbines qui l’équipent sont devenues des brevets américains.

Laurent Fabius aura conduit la France dans deux impasses stratégiques : une perte de crédibilité totale de notre position au Levant et un divorce prononcé avec la Russie qui nous vaut aujourd’hui son dédain – ce qui est sans doute encore plus grave encore que son hostilité. Dans les deux grandes affaires diplomatiques qui structurent ce début de siècle, le basculement du Moyen-Orient dans le chaos et la déstabilisation de l’Europe de l’Est, la position de la France est affaiblie comme elle ne l’a plus été depuis la dernière guerre mondiale. L’irénisme de notre politique étrangère pourrait au moins nous valoir les éloges des bonnes âmes. Mais même pas : la politique migratoire de la France ne nous attire que sarcasmes et mépris.

C’est la troisième impasse dont nous ne sommes pas prêts de sortir. Nous devrions être accueillants sur la forme mais fermes sur les principes. Au lieu de quoi nous nous montrons très frileux sur l’accueil que nous pourrions réserver aux réfugiés tout en étant pusillanimes sur les principes qui régissent le contrôle des frontières externes de la zone Schengen. Et la France, qui s’est honorée par le passé en accueillant les réfugiés arméniens ou espagnols, est montrée du doigt parce qu’elle n’accueille pas assez de réfugiés qui ont franchi la frontière hongroise, frontière dont nous dénonçons par ailleurs la gestion trop dure par le gouvernement hongrois.

Il est temps pour François Hollande de constater que Laurent Fabius n’est plus à sa place au quai d’Orsay. Si tant est qu’il ne l’ait jamais été.  Il paraît qu’il pourrait lui proposer la présidence du Conseil constitutionnel. Ce serait une porte de sortie honorable. Trop honorable sans doute pour celui qui aura ruiné pour de longues années la crédibilité de la France dans le concert des nations.

*Photo : Medef.



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Xavier Théry travaille dans un grand groupe de communication.

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