En Grèce, pendant que l’Etat se dépatouille avec ses problèmes économiques et politiques, certains se débrouillent pour trouver des moyens de continuer à vivre et échanger malgré la raréfaction de la monnaie. Ainsi, le troc a pris une ampleur nouvelle en s’appuyant notamment sur Internet.
« En Grèce, nous avons un problème majeur de liquidités » déclare Thodoris Roussos au New York Times. Ce boucher a longtemps ajourné la réparation de son camion faute de moyens financiers. Grâce au troc, il a pu échanger sa viande contre les produits dont il avait besoin, notamment des roues neuves pour son véhicule. L’homme auquel il a donné en échange un mois de viande de sa boucherie a lui-même utilisé cette offre pour obtenir un iPad.
Les différents protagonistes se sont rencontrés sur un nouveau service d’échange en ligne, Tradenow. La plateforme, installée à Athènes, a créé sa propre monnaie : les tradepoints. Ceux-ci permettent de continuer à commercer sans recourir à la vraie monnaie qui, comme l’explique M. Roussos, « n’est pas rapidement disponible ».
En supprimant l’intermédiaire monétaire, les échanges redémarrent. Dans la boucherie de M. Roussos, les ventes étaient en berne. Mais, à partir du moment où il a commencé à proposer sa viande contre des tradepoints, il a relancé son activité. Les Grecs, s’ils ont peu de liquidités, ont de nombreuses choses à échanger et proposent toutes sortes de marchandises. Quelqu’un lui a, par exemple, proposé un CD de Madonna. « Mais j’ai dit non, explique le boucher. Un CD de Madonna ne vaut définitivement pas un poulet. » Le troc enseigne donc à valoriser les produits, en plus de redynamiser les échanges.
Pour Yiannis Deligiannis, le fondateur de Tradenow, l’essor du troc est dû à la conjoncture : « L’économie continue de se détériorer », assure-t-il dans le New York Times. Selon lui, la politique actuelle de la Grèce ne peut pas redresser le pays. Aussi se propose-t-il de développer de nouveaux moyens de le faire : « Le contrôle des capitaux était la dernière balle dans notre tête. Les gens doivent trouver de nouveaux moyens de faire fonctionner les choses. Nous leur offrons une alternative. »
L’imposition du contrôle des capitaux a, en tout cas, accéléré la prolifération du troc. Après l’entrée en vigueur de cette mesure, en juin, 6000 nouveaux utilisateurs ont rejoint Tradenow. Même les petites entreprises, qui ont longtemps regardé le troc comme un système utopique, commencent à se rallier aux visions de M. Deligiannis.
Sur son site, un tradepoint vaut un euro. A partir de là, différentes possibilités s’offrent aux utilisateurs. On peut troquer directement des produits, commercer en tradepoints ou, si l’on veut, introduire des euros dans les transactions. C’est cette flexibilité, ajoutée aux potentialités des nouvelles technologies, qui a permis de faire reconnaître l’efficacité du système.
Cependant, cette activité reste relativement marginale et ne peut être conçue comme la solution ultime à la crise monétaire que vit la Grèce. Il fait seulement partie des idées naissantes pour appréhender un avenir incertain. Pour Helen Panagiotopoulos, chercheuse à l’Université de New York travaillant justement sur ce sujet, « il y a un sentiment pressant selon lequel nous avons besoin de travailler ensemble pour former quelque chose qui nous connecte tous, car nous ne savons pas ce qui peut se passer dans l’avenir ».
Logiquement, certains tentent donc de mettre en avant et de développer le troc, non seulement pour pallier l’actuel manque de liquidités mais pour ne pas se retrouver entièrement démuni en cas de sortie de l’euro. Même si le nouveau gouvernement de coalition dirigé par Alexis Tsipras a promis de rester dans la zone euro, les turbulences du mois de juillet ont laissé un souvenir cuisant dans le pays.
Le troc peut donc être vu comme un moyen crédible de construire des alternatives au système actuel. Jorge Kazianis, un électricien de 59 ans au chômage depuis 2010, a retrouvé du travail grâce à une autre plateforme : « Depuis les temps anciens, quand il n’y avait pas d’argent, les transactions se faisaient par le troc. Je n’ai pas confiance en ce que la monnaie est devenue aujourd’hui. La crise en est le sous-produit, quand beaucoup de monnaie est dans les mains de quelques-uns et que la plupart des autres en manquent. »
Dans un monde sans monnaie, ou sans confiance en celle-ci (ce qui revient au même), les solutions du passé pourraient devenir celles du futur.
*Photo : wikicommons.
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