Le dernier Libertines, le nouveau New Order, albums de la rentrée ? Non point. Sans doute pour Les Inrocks et consorts, mais pas pour les oreilles vivantes, incorruptibles, insoumises et affranchies de la hype suprême. Le renversement des valeurs ne peut inverser le cours naturel des choses (et la courbe du chômage), cela se vérifie aussi en musique. « Il y avait des choses qui me hérissaient profondément autrefois comme Queen ou Duran Duran. Bizarrement, j’aime les réentendre aujourd’hui, ça m’amuse. Je dirais même que ça me touche d’une certaine façon. Oui, je crois que la musique qu’on a détestée vieillit mieux que celle qu’on a aimée », ce n’est pas moi qui le dis, ces propos émanent en effet de notre éminent docteur ès sciences de l’histoire musicale du XXème siècle (et plus), notre Michka Assayas national, dans son Nouveau Dictionnaire du Rock
Pour ma part, j’ai toujours adoré ces groupes honnis des rock-critics, Queen et Duran Duran, même si le « The Reflex » des derniers m’a toujours ulcéré (pire que « We Will Rock You »). Les réentendre aujourd’hui apporte certainement joie et réconfort pour beaucoup, surtout lorsque du nouveau matériel est annoncé. Pour Queen, c’est mort, mais le retour de Duran Duran se place sous l’égide de Mark Ronson et de Nile Rodgers à la production et à la guitare, avec – parmi les guests – le guitariste historique des Red Hot Chili Peppers : John Frusciante (le riff de « Under the Bridge, c’est lui). Preuve que les Duran Duran ne sont pas infréquentables pour tout le monde, surtout pour le beau monde. La six-cordes floydienne de Frusciante envoûte le titre « What Are the Chances » dévoilé fin août par le groupe de Simon Le Bon. Le morceau d’ouverture de l’album, « Paper Gods » , sonne ni plus ni moins comme un De profundis nirvanesque que n’auraient pas renié les Beach Boys (le groupe fétiche d’Assayas…). Cette charge de sept minutes contre la tristesse des mœurs modernes, l’argent sale banalisé, l’idiotie urbaine des décideurs, etc. – autant de dieux de papier qui participent à bâtir un monde de papier – exhale une contestation sans doute plus sincère et profonde que celle des rappeurs Rapetout, des blancs-becs cracheurs de décibels ou autres enragés subventionnés. Le titre éponyme de l’album, Paper Gods, résonne aussi avec les évènements de Charlie Hebdo : dieux de papier contre papier de dieux.
A-ha, autre groupe pop-rock honni des critiques, sort également un nouvel album (les deux formations ont un gros point commun, celui d’avoir eu l’insigne honneur d’enregistrer le générique d’un James Bond). Les adonis norvégiens qui conquirent le monde dans les années 80 avec l’infâme « Take On Me » – pire que « The Reflex » et « We Will Rock You » – ont gagné du galon chez les mélomanes depuis belle lurette, notamment grâce à leur virage roots amorcé à l’aube des années 90 avec East of the Sun, West of the Moon et sa reprise de « Crying in the Rain » (titre popularisé par les Everly Brothers en 1962).
A partir de là, les sculpteurs sur bois de France et de Navarre pouvaient écouter avec la même ferveur A-Ha ou Deep Purple en chantournant leurs statues. Les quinquas de A-ha impriment leur marque plus discrètement aujourd’hui, mais jouent encore et toujours sur du velours, comme l’atteste leur nouveau single, « Under the Make-Up »
.Chapeau bas, les artistes, pour ces deux albums ! Vraiment, je vous le dis au nom de ceux qui n’ont jamais cru en vous : tout est pardonné ! Laissons la conclusion à Simon Le Bon : « Les gens découvrent vraiment à quel point ils aiment Duran Duran après une demi-bouteille de whisky ».
Vous savez ce qu’il vous reste à faire.
Paper Gods, de Duran Duran (Warner)
Cast in Steel, de A-Ha (Universal)
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