L’image est magnifique, Angela Merkel, le démon de l’Europe, dans une belle veste rose, plaque ses mains l’une contre l’autre et nous enjoint de sauvegarder les valeurs de l’Europe. À la traine, Manuel Valls visite un camp de réfugiés.
Il était prévu que la migration serait le grand thème de la journée. Les dépêches sur le sujet se sont multipliées lundi. On a pu suivre en temps réel, la journée de rentrée du chef du gouvernement, bien décidé à résoudre le problème des migrants.
Dimanche, à La Rochelle, le Premier Ministre a préparé le terrain, devant un parterre de caciques, il a promu les valeurs de la gauche, fin prêt à reconquérir les cœurs de son électorat. Alors qu’il prononçait le discours de clôture de l’université d’été du PS, Manuel Valls a fièrement réaffirmé que « ceux qui fuient les guerres, les persécutions, la torture doivent être accueillis, c’est un principe universel qui fonde l’humanité ». Avec l’entrain qu’on lui connaît, le Premier ministre a obtenu les chaleureux applaudissements pourtant frileux vis-à-vis de lui.
Une phrase quelque peu énigmatique laissait pourtant percevoir que les « principes universels qui fondent l’humanité » sont relativement universels : « il faut aussi des centres d’accueil en Italie, en Grèce, pour distinguer, avec humanité, avec intelligence, mais aussi avec fermeté, réfugiés, demandeurs d’asile, et migrants irréguliers ». Personne au Parti Socialiste n’a alors l’idée saugrenue de lui demander comment il compte distinguer les immigrés économiques des réfugiés une fois qu’ils ont traversé une mer et cinq pays et, à la fin de son intervention, dégoulinant, le toréador Manuel Valls rentre chez lui préparer la journée du lendemain.
Tout est rôdé. Il rend d’abord visite aux salariés d’Eurotunnel à Coquelles dans le Pas-de-Calais. « Je comprends vos inquiétudes, qui sont partagées » leur dit-il, d’une manière toute gaullienne, devant l’entrée du tunnel. Il rencontre ensuite les associations d’aide aux migrants, puis il fait un détour par l’hôpital de Calais, lui aussi sollicité pour soigner les réfugiés.
Puis vient le clou du spectacle. Manuel Valls annonce la construction pour « début 2016 », avec l’aide financière de l’Europe, d’un camp de réfugiés pour 1.500 personnes dans la « jungle » de Calais, où se massent des milliers de migrants dans l’attente d’un miracle.
Pour faire face à la situation des migrants à Calais, la France va recevoir « jusqu’à » cinq millions d’euros supplémentaires. Frans Timmermans, vice-président de la Commission Européenne, a tenu, lors d’une conférence commune avec Manuel Valls, à souligner la bravoure d’une telle dépense :
« Nous ne refoulerons jamais ceux qui ont besoin de protection », a-t-il plaidé.
Ces nouveaux fonds serviront à la mise en place d’un campement pouvant offrir une assistance humanitaire pour environ 1.500 migrants », ainsi qu’à « soutenir le transport des demandeurs d’asile de Calais vers d’autres destinations en France », a déclaré le commissaire.
Manuel Valls a précisé que ce campement, qui est prévu avec 120 tentes très spacieuses (elles peuvent accueillir 12 personnes !), serait « complémentaire » du centre Jules-Ferry qui reçoit 115 femmes et enfants, et des hommes pendant la journée. Accessoirement, il se situe juste à côté de la fameuse « jungle » dont parlait le ministre, ou vivent des milliers d’hommes et de femmes tentant de rejoindre l’Angleterre.
Malgré les nombreuses réserves que l’on peut émettre à l’encontre de Manuel Valls (ce ne sont que « des mesurettes » disent les Médecins du Monde), il a su remplir son devoir, il est venu sur le terrain, il a parlé (beaucoup) et il a « pris des mesures ». Ses critiques à l’égard de la droite n’en sont que plus audibles. Dans son discours de la Rochelle, il a tancé cette droite « qui court après le FN » quand l’Allemagne, pourtant conservatrice, affronte avec une certaine sérénité la « crise » des « migrants ». C’est sûrement vrai, mais Valls lui, court après Merkel.
En cette belle journée d’action, Manuel Valls aurait pu rentrer chez lui en homme comblé et fier de son ouvrage. Mais la nouvelle Dame de fer lui a piqué la vedette. En le battant, une fois n’est pas coutume, sur sa « gauche ».
Lundi après-midi, la chancelière allemande a donné une conférence de presse très attendue. De son air le plus angélique, Angela Merkel a supplié l’Europe de ne pas « perdre son âme » selon le mot de Matteo Renzi, Premier ministre italien. La femme politique a déclaré : «les droits civils universels ont été jusqu’à présent étroitement liés à l’Europe et à son histoire, en tant que principe fondateur de l’Union européenne : « Si l’Europe échoue sur la crise des réfugiés, ce lien avec les droits civils universels sera cassé, il sera détruit ». Par un de ces retournement historiques qui donnent des maux de têtes, l’Allemagne se retrouve à assumer la défense des « valeurs » européennes que la France se targue de porter.
Sur ces simples paroles, des milliers de réfugiés ont repris leurs pérégrinations périlleuses. Les gares de Budapest, devenues un temps des camps de réfugiés improvisés, se sont vidés. L’Allemagne est le premier des grands pays Européens à ouvrir implicitement ses portes à ces gens. La parole de la chancelière allemande est d’autant plus forte qu’elle sait que son pays va recevoir 800 000 demandes d’asile cette année, contre 200 000 l’année précédente. Dans le même temps, la France en reçoit 60 000.
Forte de ce statut de premier hôte des réfugiés en Europe, Angela Merkel souhaite imposer à ses partenaires des quotas d’accueil pour les migrants qui arrivent. Cette idée déplaît notamment à ses partenaires de l’Europe de l’Est, la Hongrie en tête. Mais l’Allemagne, contrairement à la France qui a besoin de l’argent européen (en bonne partie allemand) pour gérer sa crise, n’a pas peur des migrants. Plus que « l’humanisme », c’est la bonne santé du pays qui permet à l’Allemagne d’accueillir ces migrants. Les Allemands croient en leur avenir dont la seule part d’inconnue est justement leur déclin démographique. En bonus, l’arrivée des migrants offre même la perspective d’une confortable armée de réserve dans un pays disposant d’un droit du travail dit « flexible ». Dans le même temps, la France patauge dans les marais calaisiens. Les grands principes ont un prix que la France ne peut plus payer.
*Photo: Sipa. Numéro de reportage :AP21786066_000015.
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