Turquie: un coup d’Etat en douce?


Turquie: un coup d’Etat en douce?

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Sans chars devant les sièges de la radio et de la télévision nationales ni proclamation de l’état d’urgence, la Turquie vient de subir un coup d’Etat. Et c’est peut-être parce que le scénario traditionnel d’un putsch n’a pas été respecté que les réactions tardent à venir. Mais à écouter le président turc Recep Tayyip Erdogan, un changement de régime s’est bien produit : « que vous soyez d’accord ou non, le régime turc a changé ». Ce que le locataire de la Ak Saray (littéralement « le palais blanc » c’est-à-dire la très très grande Maison blanche…) a voulu rappeler, c’est que, contrairement à son prédécesseur Abdullah Gül élu par les députés, lui, Erdogan a été plébiscité le 10 décembre 2014 par le peuple au suffrage universel direct. Il en déduit que le régime a changé : de démocratie parlementaire, la Turquie s’est muée en régime présidentiel.

Les faits remontent à fin août 2014 mais le moment est arrivé d’entériner la situation et de lui « donner un cadre légal ». Si Erdogan était un professeur de sciences politiques ou un journaliste, cette déclaration aurait été pleine de bon sens : effectivement, tout comme la Deuxième république française entre l’élection de Louis-Napoléon Bonaparte à sa présidence et le coup d’Etat du 2 décembre 1851, le régime turc est coincé entre deux légitimités égales et concurrentes. Or, Erdogan n’est pas un commentateur ni un simple acteur de la politique de son pays, il est le prince-président jouant en même temps sur tous les tableaux possibles.

Au départ, le plan était tout autre. L’élection d’août 2014 devait effectivement mettre un pied dans la porte constitutionnelle. Après sa victoire l’été dernier, Erdogan avait clairement affiché son intention de changer la constitution turque à fin de renforcer et d’étendre les pouvoirs du président. Dans un meeting à Istanbul quelques semaines avant le scrutin, il avait déclaré que s’il était élu président « Une nouvelle Constitution pour une nouvelle Turquie sera(it) l’une de nos priorités ». Or, pour changer la constitution, il faut passer soit par referendum soit par une majorité qualifiée de deux tiers des députés du parlement. Erdogan ayant choisi la voie parlementaire, l’échéance a été repoussée au 7 juin 2015, date des élections législatives. Si tout allait bien, l’AKP d’Erdogan devait remporter le scrutin haut la main et ensuite mener l’opération d’amendement constitutionnel. En lieu et place de ce plan parfaitement conçu, Erdogan a eu un petit « accident » de parcours : l’AKP est bel bien sorti en tête des formations politiques mais le parti islamo-conservateur a perdu neuf points (de 49.83% en 2011 à 40.87% en 2011), 69 sièges et la majorité absolue (entre 2011 et 2015, l’AKP occupait 327 sièges sur les 550 du parlement turc). Au vu de tels résultats venus s’ajouter à sa relativement courte victoire au premier tour de la présidentielle d’août 2014 (51.79%), on peut comprendre pourquoi il n’a pas risqué la voie référendaire.

Dans ce contexte, la déclaration d’Erdogan apparaît à la fois comme un ultimatum et la première salve de la prochaine campagne législative. Car depuis les élections de juin, l’AKP n’arrive pas à former une coalition. Malgré les manœuvres dilatoires, le temps passe et le piège constitutionnel se renferme sur l’AKP : impossible de continuer « à la belge ». Erdogan n’a de cesse de déclarer que la Turquie a besoin d’une nouvelle constitution car elle aspire à  un nouvel avenir. Mais il est paradoxalement l’exemple parfait de ce qu’on peut faire dans le cadre d’une démocratie parlementaire : entre 2002 et 2014, sans pouvoir exécutifs étendus ni palais de 1500 pièces, Recep Tayyip Erdogan a joui d’un champ de manœuvre politique inédit, grâce bien sûr à ses talents, son charisme et son énergie mais aussi aux actuelles règles du jeu politique turc. Plus que la nature de son régime, il semblerait que le véritable problème de la Turquie soit l’extraordinaire ambition d’un homme pour lequel tout est devenu trop petit.

*Photo: Sipa. Numéro de reportage : AP21767958_000013.



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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