Recep Tayyip Erdogan est un pervers dangereux. Le président turc, autocrate qui n’écoute personne, pas même ses conseillers, et se voudrait le nouveau calife ottoman, n’a pas hésité à instrumentaliser l’agressivité de Daech, organisation envers laquelle il a eu pour le moins une bienveillante complaisance (souvenons-nous des chars turcs observant à 500m la ville kurde de Kobané, en Syrie, presque succomber aux assauts de l’EI).
Et pourquoi ? Pourquoi la Turquie est-elle, comme trop de monde le répète, « entrée à son tour en guerre contre l’organisation Etat Islamique », profitant d’un attentat commis sur son sol et d’un accrochage entre ses soldats et les combattants de Daech ? Pour effacer les résultats des élections législatives du 7 juin dernier. C’est-à-dire pour, d’une part, montrer au petit frère Daech ce que c’est que le respect que l’on doit au grand frère en punissant son agressivité et sa prétention. Cet ingrat de petit frère dont la Turquie a laissé passer longtemps les volontaires et l’approvisionnement, soigné les blessés dans ses hôpitaux et accueilli les « permissionnaires » dans ses villes frontalières quand ceux-ci avaient besoin de se ressourcer avant de retourner tuer en Syrie. D’autre part et surtout, en profiter pour taper sur les positions du PKK kurde en Irak et sur celles du PYD kurde en Syrie (qui pourtant résiste admirablement, comme il l’a fait à Kobané, dos au mur contre Daech). Et enfin, après que les Kurdes de Turquie aient réagi violemment, comme monsieur Erdogan le voulait, pouvoir les criminaliser, les assimiler à des groupes terroristes. Et ce, pour se débarrasser, en le faisant interdire, du parti d’opposition Kurde HDP qui a commis le crime de lèse-calife de priver le parti présidentiel islamo-conservateur AKP, le 7 juin, de la majorité absolue au parlement. But ultime de l’opération : provoquer des élections législatives anticipées qui effaceraient le désastreux résultat de ce 7 juin et redonneraient cette majorité absolue à l’AKP…
Car monsieur Erdogan a besoin de la majorité absolue au parlement pour pouvoir faire modifier la constitution turque, renforcer ses pouvoirs et présidentialiser le régime. A cet égard, le titre de calife qu’Abou Bakr al–Baghdadi, le chef de Daech, s’est auto-octroyé, a dû être ressenti par monsieur Erdogan comme une usurpation. Dans la tête du président turc, le calife, c’est lui. Daech payera un petit peu pour avoir cru pouvoir le défier, et les Kurdes payeront beaucoup, à l’extérieur comme à l’intérieur, pour avoir réussi à entraver ses ambitions…
Le cynisme et la perversité de monsieur Erdogan sont une chose. Ceux des pays occidentaux en sont une autre. Le communiqué publié à la suite de la réunion d’urgence, demandée par la Turquie, du Conseil de l’OTAN de ce 28 juillet, manifestant sa « forte solidarité » avec son membre turc, est honteux. Le silence des européens, de la France, et le soutien à Erdogan des Etats-Unis, satisfaits de pouvoir enfin utiliser les bases aériennes turques dans leur campagne contre Daech, le sont aussi. Nos dirigeants ne sont pas idiots. Ils ont très bien compris ce que fait monsieur Erdogan, qui ne s’engage pas dans une lutte à mort contre Daech en se défendant simultanément et impartialement contre des terroristes kurdes, mais utilise la dangerosité de l’organisation Etat Islamique pour mener à bien ses ambitions personnelles.
Le cynisme et la perversité sont à l’œuvre dans ce coin du monde où déjà frappé par tant de barbarie et de calculs monstrueux. Nos dirigeants auraient pu, à tout le moins, faire l’économie d’en être complice, ne serait-ce que par leur silence.
*Photo : © AFP-Archives ADEM ALTAN
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