« Ce n’est jamais sans créer pour l’avenir de grands dangers et de grandes difficultés qu’on soustrait l’individu aux conséquences de ses propres actes. »
— Frédéric Bastiat, Harmonies économiques.
Le problème, au fond, n’est pas vraiment économique. La Grèce pourrait, pour peu qu’elle remette de l’ordre dans ses finances publiques et réforme enfin son économie, se sortir de cette mauvaise passe sans souffrances excessives et ce, d’autant plus que les conditions auxquelles la Troïka lui fait crédit sont particulièrement avantageuses. En effet, et contrairement à ce qu’affirment les suspects habituels, on a déjà vu des pays se sortir d’une crise grave avec des politiques d’austérité — sans aller chercher bien loin, c’est précisément ce qu’a fait le président de Gaulle : excédents budgétaires, réduction de la dette publique, modernisation de l’économie et le tout, sans dévaluation [1. Celle de 1958 ne fait qu’entériner une situation que le général hérite de la IVe.] ni subsides européens.
Le problème est surtout politique. Il a fallu un de Gaulle pour nous sortir de l’ornière de la fin des années 1950 ; un homme qui comprenait qu’un pays ne pouvait pas se prétendre indépendant s’il croulait sous les dettes ; un homme qui ne comprenait que trop bien les ravages de l’inflation et des dévaluations ; un homme qui, enfin, jouissait de l’aura nécessaire pour convaincre un peuple tout entier de renoncer aux solutions de facilité. Or voilà, Tsipras n’a sans doute ni les convictions ni l’étoffe d’un de Gaulle. Il n’est pas, pour paraphraser le commentaire d’un observateur grec, le leader dont la Grèce a besoin ; il est juste celui qu’elle a.
Mais le pire n’est pas là : quand bien même le premier ministre grec, ou un autre, aurait de telles capacités, ça ne changerait rien. Ça ne changerait rien parce que la Grèce est de facto sous tutelle et ses tuteurs, pour l’essentiel, sont bien mal placés pour donner des leçons en matière de sérieux budgétaire, de dynamisme économique et de respect de leurs engagements. Quelle que soit la forme que prendra ce troisième plan de sauvetage, il se traduira par le même genre de relation qui unit le Mezzogiorno au nord de l’Italie : une relation de dépendance dont on ne sort jamais.
On n’y arrivera jamais comme ça. Ce troisième plan, c’est de l’acharnement thérapeutique sur un patient qui, fondamentalement, refuse les potions qu’on lui impose ; une thérapie ruineuse qui, au mieux, maintiendra le malade dans le coma jusqu’à ce qu’on décide de lui administrer une nouvelle dose. C’est peine perdue. Il faut couper la perfusion et il faut la couper maintenant ; c’est aux Grecs et aux Grecs seuls de se sortir de la panade dans laquelle ils se sont mis. La seule solution viable à long terme, c’est de laisser l’État grec faire faillite et assumer seul, sans contraintes ni aides extérieures, les conséquences de ses choix.
Notre erreur fondamentale, dans cette affaire grecque, c’est que nous n’avons pas respecté la clause de non-renflouement [2. Article 125 du Traité sur le fonctionnement de l’Union européenne.] que nous avions pourtant tous signée. Athènes aurait fait défaut, ses créanciers y auraient laissé quelques plumes et les gouvernements grecs auraient dû apprendre à fonctionner quelques années sans emprunter le moindre centime. Au moins, ça aurait réglé le problème rapidement tout en dispensant au passage quelques bonnes leçons. Mais non. Les technocrates qui nous gouvernent en ont décidé autrement : « Un État membre, nous disent-ils en substance, ne peut pas faire défaut parce que ça signifierait une sortie de la zone euro. »
D’une part, et alors ? Ce n’est pas parce que la Grèce ou un autre pays décide de quitter l’union monétaire que nous sommes tous obligés de faire de même. D’autre part, pardon mais je ne vois aucune raison qui fasse qu’un État membre en défaut de paiement soit obligé d’abandonner l’euro contre son grè. Jusqu’à preuve du contraire, c’est un non sequitur : l’argument selon lequel la BCE serait obligée de couper les vivres des banques grecques en cas de défaut ne repose que sur une volonté politique. En pratique, après recapitalisation [3. Ce qui implique que les actionnaires existant se font lessiver au passage.], il est tout à fait possible de remettre le système bancaire grec en ordre, même si l’État est en faillite.
Mais pourquoi diable s’obstinent-ils à ce point ? Vous pouvez, bien sûr, souscrire à la thèse qui voudrait que si la Grèce ne rembourse pas le monde cessera de tourner ou, dans un autre genre, à celle de la méchante Allemagne qui cherche à humilier les gentils grecs, mais je crains fort que ni l’une ni l’autre ne passe le sniff test le plus élémentaire. La réalité, à mon humble avis, est beaucoup plus simple : de Tsipras à Merkel en passant par Hollande et les autres, tous sont absolument convaincus que si la Grèce ne paie pas ou sort de la zone euro, ils le paieront aux prochaines élections.
*Photo : PICTURE PRESS EUROPE/SIPA/1507091444
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