Grèce: Tsipras a sauvé l’Europe


Grèce: Tsipras a sauvé l’Europe

grece referendum sculz euro

Hier, le gouvernement Tsipras, en gagnant le referendum qu’il avait provoqué dans l’urgence, a sauvé l’Europe. Évidemment, il n’a pas sauvé l’Europe du dogme néolibéral. Évidemment, il n’a pas sauvé l’Europe qui, sous le nom d’Union Européenne, est devenue la dernière zone de libre-échange intégriste puisque même les USA – qui veulent nous imposer en douce le Tafta – savent eux, quand il le faut, faire fonctionner la planche à billets pour sauver leur sidérurgie ou leur industrie automobile. Le protectionnisme, on appelle ça, et il paraît que c’est très mal. Sauf quand on est américain, donc.

Évidemment, Tsipras n’a pas sauvé l’Europe du mépris technocratique, mépris qui peut assez vite se transformer en haine froide pour cette chose incontrôlable qu’on appelle la volonté d’un peuple souverain. Qui se souviendra par exemple, dans vingt ans, de madame Lagarde revendiquant son monopole d’« adulte » sous prétexte qu’avocate française d’un grand cabinet d’affaires étasunien puis ministre sarkozyste des Finances conseillant naguère aux Français d’utiliser le vélo pour pallier l’augmentation de l’essence,  elle prétend savoir ce qu’est le réel, mieux qu’un pays entier qui depuis cinq ans vit une crise humanitaire entre famine qui rôde, système de santé détruit, suicides et dépressions qui explosent,  chômage qui touche un tiers de la population dont la moitié de la jeunesse alors que le PIB a reculé de 25% et que les salaires ont été amputés de moitié en moyenne. Qui se souviendra, aussi, de Martin Schulz, président de ce Parlement européen, inutile croupion de la Commission où paradent les derniers guignols libéraux-libertaires façon Cohn-Bendit et les vieux chevaux de retour de l’extrême droite élus sur le fumier de la désespérance sociale et de la panique identitaire. Ce Martin Schulz qui ose se targuer du beau nom de socialiste alors qu’il espérait la nomination d’un « gouvernement de technocrates » en Grèce pour en finir avec « l’ère Syriza », après une éventuelle victoire du oui au référendum de dimanche, comme un putschiste gris en costume cravate, qui ne sort plus de son bureau climatisé. Imaginons un instant l’inverse, Tsipras traitant Lagarde de « gamine trop gâtée » ou demandant au peuple allemand de se soulever contre la tyrannie monétariste qui ne profite qu’à des vieillards sans descendance crispés sur leurs fonds de pension comme des extravagants, quitte à pousser tout un continent dans la récession.

Mais voilà, Tsipras a gardé son sang-froid, Tsipras s’est relégitimé de la seule manière qui compte pour un démocrate: auprès du peuple, auprès de son peuple et non en recherchant l’onction des marchés et des économistes de garde qui s’apitoient sur le sort du retraité grec devant un distributeur vide, seulement quand c’est la gauche qui est au pouvoir et qu’ils ont, eux et leurs maîtres,  forcé un gouvernement à rétablir le contrôle des capitaux. Tsipras n’insulte pas, il gagne et le paradoxe est que cette simple victoire, répétons-le à plus de 60%, si ardemment combattue ces derniers jours par toutes les voix autorisées, des philosophes néocons qui envoient des  « Ciao Tsipras ! » aux éditorialistes qui prédisent l’apocalypse, cette victoire, donc, est un véritable camouflet.

Dans les commentaires de cette soirée qui semblait être celle de tous les Européens sincères, le non grec a été mis en perspective avec les efforts qui auraient été consentis par d’autres pays, Lettonie ou Irlande, Portugal ou Slovaquie, pays qui eux se seraient saignés aux quatre veines et s’en seraient tirés. Il faut savoir que « s’en tirer » dans la novlangue européiste signifie plaire aux places boursières mais aucunement avoir assuré un développement économique durable, des avancées sociales ou culturelles  notables. Je serais ainsi assez curieux de voir ce que donnerait un referendum dans ces pays qu’on nous dit indignés par le traitement de faveur dont aurait bénéficié la Grèce, traitement de faveur, rappelons le, qui a  plongé le pays dans une misère sans nom.

Oui,  le 5 juillet restera comme un beau soir pour l’Europe qui a la chance de saisir ce kairos offert par la Grèce: plutôt que d’écouter quelques vieux apparatchiks supranationaux qui n’ont à la bouche que l’orthodoxie inefficace d’une idéologie en pleine implosion, l’Europe peut reprendre la parole pour se sauver elle-même. Convoquons des référendums dans tous les pays de la zone euro, Allemagne comprise, et posons leur la question simple posée par Tsipras à son peuple et que certains s’obstinent à faire semblant de ne pas comprendre. Car il ne s’agit pas de savoir si on dit oui ou non à  l’Europe. L’Europe, on n’a pas attendu le Traité de Rome pour l’aimer aussi charnellement que l’on aime notre pays et pour entendre chez Dante, Goethe ou Camoens une voix aussi fraternelle que chez Rabelais, Molière, Hugo.

Non, la question de Tsipras est de savoir si on dit oui ou non cette Europe-là qui n’est plus que le cache-sexe usé d’un capitalisme financiarisé et de ses très lointains rapports avec le projet d’un continent exemplaire en matière de fraternité, de paix et de progrès social.

Et les Grecs y ont répondu.  On aimerait bien qu’ils ne soient pas les seuls.

*Photo: Emilio Morenatti/AP/SIPA.



Vous venez de lire un article en accès libre.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !

Article précédent Referendum grec: les médias français irresponsables
Article suivant Grèce: Tsipras sacrifie Varoufakis

RÉAGISSEZ À CET ARTICLE

Le système de commentaires sur Causeur.fr évolue : nous vous invitons à créer ci-dessous un nouveau compte Disqus si vous n'en avez pas encore.
Une tenue correcte est exigée. Soyez courtois et évitez le hors sujet.
Notre charte de modération