Il aura fallu près de huit ans, et le travail opiniâtre de quelques personnalités animées du souci de la vérité et de la justice pour que la chape de plomb que France 2 prétendait maintenir sur l’affaire Al Doura soit soulevée et que les doutes, plus que légitimes, relatifs à la véracité de ce reportage deviennent une vérité judiciaire.
Dès le premier jugement, d’ailleurs, pourtant favorable à France 2, il était établi que rien ne permettait à Charles Enderlin, qui n’était pas sur place, d’affirmer dans son commentaire du journal de 20 h que l’enfant était mort victime des tirs venus de la position militaire israélienne.
La Cour d’appel va plus loin, en affirmant que Philippe Karsenty a bien diffamé Charles Enderlin (c’est-à-dire, au sens propre, porté atteinte a son honneur et à sa réputation professionnelle) mais que « l’examen des rushes ne permet plus d’écarter les avis des professionnels entendus au cours de la procédure et qui avaient mis en doute l’authenticité du reportage ». En clair, cela signifie que, pour les juges, les accusateurs de France 2 ont de bonnes raisons d’estimer qu’Enderlin s’est fait le complice, volontaire ou involontaire, d’une mise en scène macabre réalisée à Gaza par son cameraman Talal Abou Rahma.
Ces derniers, aujourd’hui, tirent prétexte d’un recours en cassation, qui rappelons-le ne se prononcera que sur la forme, et non pas le fond du jugement, pour maintenir leurs positions : selon eux, les images diffusées et les commentaires reflètent l’exacte vérité de ce qui s’est passé le 30 septembre 2000 au carrefour de Netzarim.
Il faut rendre hommage à la présidente de la 11e chambre de la Cour d’appel de Paris, Laurence Trébucq, d’avoir exigé de France 2 la diffusion devant les juges et le public des rushes tournés par Talal Abou Rahma à Gaza. Leur rétention ou leur diffusion restreinte devant un public trié sur le volet ne relevaient pas comme l’affirmait la direction de la chaîne d’un « souci de protection des sources ». Cette attitude s’explique beaucoup plus prosaïquement par le malaise qu’elles produisent chez tout professionnel, et même toute personne de bonne foi qui les regarde. On n’y trouve pas les « scènes insoutenables » de l’agonie de l’enfant que Charles Enderlin prétendait avoir coupé au montage, mais en revanche des mises en scènes répétées de blessures factices dont auraient été victimes les manifestants. Quant à la scène du père et de l’enfant abrités derrière un baril subissant des tirs nourris venus de la position israélienne, elles posent également des questions jusque là restées sans réponses : pourquoi aucune trace de sang n’apparaît-elle sur le t-shirt blanc de Jamal (le père) alors qu’il affirmera, plus tard avec été blessé par au moins huit balles, dont plusieurs dans la partie supérieure du corps ? Pourquoi voit-on une dernière image de l’enfant (coupée au montage), bougeant et même jetant un regard furtif en direction de la caméra alors que Charles Enderlin l’a déclaré mort ?
Ce ne sont là que quelques-unes des questions et interrogations surgies au cours de plusieurs années d’enquête menées parallèlement par plusieurs personnes, dont l’auteur de ces lignes. Toutes se sont heurtées à l’impossibilité de mener des investigations à Gaza, et Talal Abou Rahma a été interdit de parole par France 2, après avoir tenus des propos imprudents, en 2002, dans un documentaire de la chaîne ARD réalisé par la journaliste allemande Esther Shapira.
Comment alors établir la preuve absolue de la mise en scène, quand son ou ses auteurs présumés sont claquemurés dans le bunker de Gaza où règne la loi des islamistes ?
D’ores et déjà, l’affaire « Al Doura » apparait comme un scandale médiatique de première grandeur, dont l’étouffement a failli réussir.
Aujourd’hui, France 2 et Charles Enderlin doivent la vérité au public qui leur a fait confiance. Pas une vérité bricolée à la va-vite en fonction des urgences judiciaires, mais celle qui surgit de la confrontation publique des éléments réunis par toutes les parties : les défenseurs, comme les accusateurs de France 2. Un élément nouveau, de première importance a surgi à la veille de la dernière audience de la Cour d’appel : le professeur Yehuda David, de l’hôpital Tel Hashomer de Tel Aviv, a rendu public le dossier médical de Jamal Al Doura. Le père présumé de l’enfant prétendu mort a été soigné et opéré en 1994 en Israël à la suite de nombreuses blessures à l’arme blanche reçues au cours d’une rixe à Gaza… Or, un « reportage » réalisé en octobre 2004 par Talal Abou Rahma, montrant des cicatrices a été présenté, devant un parterre de journalistes choisis, par la direction de France 2 comme la preuve absolue de la réalité des affirmations de Charles Enderlin. Selon le professeur David, les cicatrices apparentes sur les diverses parties du corps de Jamal Al Doura ne peuvent en aucun cas avoir été causées par des balles. Un examen médico-légal effectué par un praticien indépendant et expert de ces types de blessures s’impose donc : oui ou non Jamal al Doura a-t-il reçu entre huit et douze balles (selon ses diverses déclarations) ayant justifié des soins à l’hôpital Shifa de Gaza, puis à Amman en Jordanie ? La réponse est facile à obtenir, pour autant que les autorités de Gaza autorisent la sortie du territoire de Jamal al Doura.
Le président du CRIF, Richard Prasquier, propose la constitution d’une commission d’enquête internationale et indépendante qui examinerait toutes les pièces du dossier, procéderait à des auditions des témoins directs de la scène, tant israéliens que palestiniens et remettrait ses conclusions au public. A plusieurs reprises, Charles Enderlin s’est déclaré disposé à remettre tous les documents en sa possession et à témoigner devant une telle commission. Pour lui, le moment est venu de passer des paroles aux actes.
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