Il y a déjà plusieurs décennies que le cinéma hollywoodien nous a si bien habitués aux castings ethniques que lorsqu’on regarde un film ou une série de l’Oncle Sam, il semble acquis que le Président du tribunal et le chef de la police sont noirs. Les producteurs de cinéma avaient reçu l’injonction de modifier la perception que le Blanc de base pouvait avoir du Noir de base. Cette louable intention essaima outre-Atlantique et le présentateur ou animateur télé mâle, blanc et hétéro fait figure d’exception.
Le monde politique a suivi, s’essayant lui aussi au casting chamarré afin de rencontrer les desiderata de chaque communauté, reconnaissant au passage que le suffrage n’était plus motivé par l’intérêt général mais par les avantages particuliers que pourraient recueillir tel ou tel groupe. C’est le fameux « électorat de niche », cher à Terra Nova. L’octroi du droit de vote aux immigrés, la double nationalité et l’immigration massive ont rendu l’élaboration des listes électorales particulièrement complexe et le dosage des ingrédients ethnico-religio-féministo-linguistique plus subtil que celui qui préside à la confection des vols-au-vent aux morilles et crêtes de coqs façon Périco !
Le problème, c’est que ces candidats exotiques, s’ils sont des poids-lourds en terme de voix, ne sont pas toujours des adhérents francs et massifs aux valeurs de la démocratie et plus encore aux droits de l’homme. Deux partis belges viennent d’en faire la cuisante expérience à l’occasion de la commémoration du centenaire du génocide arménien. Dans ce domaine comme dans bien d’autres, la Belgique se distingue par sa position ambiguë que l’on qualifie rapidement de surréaliste parce que c’est plus pimpant.
Petit topo : alors que l’Europe le fit en 1987, la Belgique, elle, n’a toujours pas reconnu le génocide arménien, on se demande d’ailleurs pourquoi. Cependant, il existe à Bruxelles un monument dédié à cet épouvantable génocide, et les commémorations et minutes de silence se tiennent chaque années dans chacune des nombreuses assemblées qui égayent la vie des Belges entre deux averses. C’est encore plus vrai cette année qui célèbre le triste centenaire de ce génocide que certains réduisent à un massacre quand ce n’est pas tout simplement à des affrontements ethniques liés à une période troublée.
Mais le PS a accueilli en son sein, il y a déjà plusieurs années le sémillant Emir Kir, député turc bruxellois et bourgmestre de Saint-Josse-ten-Noode, petite commune principalement turcophone. Non content de mentir sur ses diplômes et d’attaquer la presse quand elle n’a pas pour lui les yeux de Chimène, Emir Kir cristallise à lui seul et sans perdre son sourire ravageur les problèmes et contradictions de la double allégeance. Ainsi, alors qu’il était secrétaire d’Etat bruxellois aux Monuments et Sites, la Turquie le rappela afin qu’il preste son service militaire. C’est déjà assez croquignolet et il fallut toute l’onctuosité des diplomates pour qu’il en soit exempté. Mais ce n’est pas tout. En tant que garant du patrimoine urbanistique, il lui fallait protéger le monument au génocide arménien alors que ses électeurs, Turcs, en souhaitaient la disparition. Parce que l’immigration turque ne s’est pas dissoute dans les brumes démocratiques d’outre-Quiévrain, loin de là. Fortement endogame, faisant venir de jeunes cousines de leur village ancestral en vue d’épousailles, peu convaincue des bienfaits de la démocratie, conservant après moult générations son coeur, son cerveau et ses économies au delà du Bosphore, la communauté turque est aux ordres d’Erdogan et considère toute allusion à un quelconque génocide arménien comme un affront. Elle a elle-même rebaptisé Saint-Josse-ten-Noode, où les campagnes électorales se font en turc, « Petite Anatolie ». Et en Anatolie, il n’y a pas eu et il n’y aura jamais de génocide arménien. Il fallut donc toute la souplesse, alliée à un talent remarquable dans le maniement du double langage, pour qu’Emir Kir conserve tout à la fois mandat ET électorat.
Mais les choses se corsent en 2015 puisque c’est l’année du centenaire de cette tragédie génocidaire. L’assemblée bruxelloise avait prévu une minute de silence. Elle fut refusée par les élus turcs de tout bord et Emir Kir lui, se fit tout bonnement porter pâle aux commémorations, ce qui ne passa pas inaperçu.
Arrimé au PS, on trouve un petit parti, qui fut grand du temps de la Belgique de papa : le CDH. CDH, cela signifie Centre Démocrate Humaniste, comme vous voyez, ça ratisse large. Certains se souviennent que ce parti, qui s’appelait alors le PSC (Parti Social Chrétien) faisait la pluie et le beau temps en Belgique avant que celle-ci ne se scinde sous la poussée des conflits linguistiques. Ceux-ci privèrent le PSC de l’appui du grand frère flamand et il devint un parti croupion n’ayant plus d’autre alternative que de se scotcher au PS pour continuer à exister et d’oublier son terreau chrétien pour séduire le nouvel électorat. C’est à la primesautière Présidente Joëlle Milquet que l’on doit ce virage, et c’est elle aussi qui organisa le casting des nouveaux candidats, censés drainer les voix venues du sud. Il fallait se monter au moins aussi créatif en la matière que le grand frère PS et Joëlle Milquet frappa un grand coup en faisant entrer en 2009 la première femme voilée de chez voilée dans une assemblée parlementaire belge, en l’occurrence celle de Bruxelles. C’est ainsi que les caméras se braquèrent sur Mahinur Ozdemir, plongeant les spectateurs dans la perplexité et les musulmans dans l’allégresse. Un pas était franchi mais l’actualité eut très vite d’autres chats à fouetter et Mahinur Ozdemir brillant principalement par son mutisme et son obéissance ne fit plus de vague.
On entendit cependant encore parler d’elle dans la rubrique mondaine lors de son mariage, en Turquie bien entendu, avec un attaché parlementaire de l’AKP, en présence d’Erdogan et de nombreux députés de l’AKP et de son acolyte le MHP (extrême droite turque). C’était le 30 juillet dernier, et depuis, la jeune mariée ne fait plus parler d’elle.
Sauf, il y a quelques jours, et grâce aux journalistes de RTL. Comme chaque élu du CDH doit signer un code de déontologie par lequel il s’engage à reconnaître tous les génocides reconnus par les instances internationales, nos confrères de RTL ont voulu lui demander, alors qu’elle siégeait au Parlement bruxellois, si elle reconnaissait bien le génocide arménien. Ayant repéré les caméras, elle s’est prestement enfuie, et à l’instar des collégiennes peu désireuses de participer à un cours mixte de déplacement en milieu aquatique standardisé, elle fit parvenir à la rédaction de RTL un certificat médical. Miraculeusement guérie le soir même elle s’apprêtait à rejoindre le conseil municipal de Schaerbeek, mais rebelote ! les journalistes de RTL l’y attendaient et elle fit un rapide demi-tour, dégringolant les escaliers avec une vélocité bien à même de rassurer tous ceux qui s’inquiétaient encore de son état de santé. Mais il y a peu, les choses ont un peu bougé au CDH et Mâme Milquet n’en est plus la Présidente. Elle a été remplacée par Benoît Lutgen qui ne s’embarrasse pas de préciosités oratoires et a affirmé que les négationnistes de tout poil (ou voile) seront dehors dans la seconde et a donc très logiquement viré Mahinur Ozdemir des tablettes du parti, ce qui en fait une sorte de Jeanne d’Arc dans la communauté turque, éblouie par sa fermeté et son recours assumé au mensonge. Nulle autre condamnation ne suivra, il n’est pas interdit en Belgique de nier le génocide arménien, ni même d’affirmer qu’il s’agissait de randonnées pique-nique organisées par l’Empire Ottoman.
Cependant, Erdogan a jugé bon de donner à la Belgique et au CDH un cours de démocratie et s’est fendu d’une très officielle bafouille où il regrette que le CDH ne respecte pas la liberté de conscience dans ses rangs, contrairement à la Turquie où toutes les opinions sont libres. Sic.
Cette affaire plonge évidement l’ancien Premier ministre et rex imperator du PS, l’empapillonné Elio Di Rupo, dans un embarras croissant. Doit-il, lui aussi, virer son négationniste, Emir Kir ? Impossible, le vote musulman étant la substantifique moelle qui irrigue le parti et sans lequel il serait condamné à jouer les utilités. Mais peut il faire moins que le CDH sans se compromettre aux yeux de la part de son électorat qui ne plaisante pas avec les droits de l’homme et les lois mémorielles ? Périlleux ! Surtout que les médias ne semblent pas vouloir lâcher le morceau !
On se demande dès lors qui il maudit le plus des Ottomans qui auraient pu s’abstenir de dézinguer un million cinq cent mille Arméniens qui ne leur avaient rien fait ou de son colistier Philippe Moureaux, récemment converti, et qui fut l’artisan têtu du droit de vote des immigrés.
*Photo : wikicommons.
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