En France, pays à la législation florissante et patrie du refoulement mécanique, la moto a aussi mauvaise presse que l’auto. Le plaisir d’enfourcher un deux-roues motorisé est proscrit comme la lecture des écrivains réprouvés et l’apprentissage des langues mortes au collège. Que sommes-nous devenus ? Des censeurs impénitents qui cherchent toujours à contraindre, briser, ravaler tout ce qui fait briller les yeux des Hommes. Nos bienfaiteurs ont chassé inlassablement la motocyclette des campagnes, ce nuisible qui déclenche des passions écolo-citoyennes délirantes. Trop bruyante, trop voyante ou trop polluante, la moto verte voit rouge un peu partout sur notre territoire !
Par manque de culture et démagogie pétaradante, tous ces défenseurs du « bon air » se privent d’un oxygène vital. Car, la conduite d’une moto s’apparente à un art de vivre : la liberté de se mouvoir sans risquer la vie et la santé des autres. La propagande officielle n’a pas ménagé ses efforts depuis vingt ans pour interdire la pratique d’un loisir aussi familial. Le trialiste, l’enduriste ou le crossman du dimanche sont bien plus respectueux de l’environnement que l’urbain « green-compatible » à barbe. Leur cohabitation avec la nature est plus crédible et sincère. La moto et les « espaces verts » comme disent aujourd’hui nos technocrates de la langue de bois ont pourtant jadis coulé des jours très heureux. Ils étaient même les meilleurs amis du monde. En 1971, Bruce Brown a produit un film culte sur cette passion qui comptait, chaque jour, de nouveaux adeptes. Du désert californien aux terres escarpées d’Espagne jusqu’aux plaines enneigées du Canada, il a délivré un message de paix et de tolérance, enfin disponible en DVD. La moto y avait des vertus civilisatrices. Elle rendait à l’homme sa part d’authenticité et de fragilité.
A cette époque-là, la moto entrait en réaction contre la société de consommation. Si vous imaginez le motard disciple du grand défouloir, individualiste forcené, jouisseur sans entraves, passez votre chemin, vous n’avez rien compris à l’histoire des bécanes. Nommé à l’Oscar du Meilleur documentaire 1972, On Any Sunday a déclenché, à travers le monde, un engouement sans précédent. La présence de Steve McQueen à l’écran n’y était pas pour rien. L’acteur avait personnellement participé à son financement. On voyait une star d’Hollywood s’adonner à ce sport de plein air avec des milliers d’autres inconnus. La moto avait droit de cité dans les critiques cinéma des prestigieux quotidiens américains. On Any Sunday marquait également la naissance du BMX avec cette scène d’anthologie où l’on voit de jeunes californiens pédaler sur leurs biclounes rafistolés en imitant le bruit des motos. Il a fallu attendre plus de quarante ans pour voir une suite à ce monument de la culture biker. Dana Brown, le fils de Bruce, réalisateur notamment d’un documentaire très remarqué sur le surf, a relevé le défi.
The Next Chapter ouvre une nouvelle page de l’histoire du motocyclisme. Dans un contexte où les libertés individuelles ont fondu comme la calotte glacière, Dana montre que la passion de la moto n’a pas disparu. Sur le lac salé de Bonneville, dans la montée infernale de Pikes Peak ou sur un terrain de cross abandonné, les pros et les amateurs oublient chaque week-end leurs soucis à coups de kicks et de poignées de gaz. Même si les machines sont plus perfectionnées et les champions entraînés comme des sportifs de haut niveau (les images de Marc Marquez en Moto GP ou du freestyler Robbie Maddison sont ahurissantes), l’esprit de camaraderie demeure. Filmé en 4K ultra HD, The Next Chapter a un rendu phénoménal. Il faut remonter à Claude Lelouch et son court-métrage C’était un rendez-vous pour retrouver ce corps à corps infernal entre l’homme et son cheval mécanique. Dans la circulation enfiévrée de Hô-Chi-Minh-Ville, sur les pistes africaines où les vaccins arrivent dans les villages les plus reculés en deux-roues ou dans l’enceinte de Daytona, les Hommes continuent de communier avec la moto.
Coffret 2 DVD – On Any Sunday (Challenge One) et The Next Chapter – Marco Polo Production.
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