Si c’est une femme


Si c’est une femme

genevieve gaulle germaine tillion

« Chacun est à chacun un ennemi et un rival »[1. Si c’est un homme, Folio, 2013.]. Primo Levi nous enseigne qu’au cœur des camps nazis, la condition de victime est loin d’engendrer un sentiment de fraternité systématique. D’un block à l’autre, on se bat qui pour un quignon de pain, qui pour un bouton de chemise, parfois sans compassion aucune.

La solidarité n’en reste pas moins un puissant vecteur d’espoir, singulièrement pour les victimes féminines de la barbarie nazie, dont les témoignages attestent de la grande sentimentalité. « Les femmes qui sont restées seules, je crois qu’elles n’ont pas survécu ; on avait absolument besoin les unes des autres. », déclare une déportée que cite Marie-Josèphe Bonnet dans son nouvel essai Plus forte que la mort.  L’historienne, féministe à la ville, y démêle l’écheveau des amitiés féminines nées à l’ombre des miradors. Si l’instinct de survie donne lieu à des manifestations d’égoïsme parfois abjectes, telles ces déportées communistes de Mauthausen privant une mère et sa fille affamées d’épluchures de pommes de terre par « indifférence pour les malheurs de ceux qui ne sont pas du parti », la meilleure part de la femme a produit des miracles de relations humaines. Parmi les communistes raflées dans la Résistance, certaines communient chaque soir aux côtés de leurs amies catholiques priant en secret.

Ainsi des résistantes néo-panthéonisées Germaine Tillion et Geneviève de Gaulle, sœurs d’infortune à Ravensbrück : en décembre 44, la première, se cotise avec ses co-détenues pour offrir un panier garni de Noël à la seconde, alors enfermée sans lumière dans le bunker du camp. Bouleversée par tant d’altruisme, Geneviève de Gaulle y puisera la force nécessaire pour survivre à l’entreprise de broyage nazi : « m’obsédait la certitude que, bien pire que la mort, c’était la destruction de notre âme qui était le programme de l’univers concentrationnaire », en conclura-t-elle. « Il n’y a pas de salut sans mes frères, la prostituée à côté de moi et l’autre qui a volé mon pain hier, et les vieilles femmes au teint terreux, elles sont moi, elles sont miennes. », enchérit Geneviève de Gaulle en 1946. L’ancienne militante homosexuelle Marie-Josèphe Bonnet ne manque pas de souligner que son sens de la sororité incluait même les « julots », ses voisines lesbiennes que la morale de l’époque réprouvait farouchement…

Les Tillion mère et fille ne laissent pas de fasciner la nièce du Général. Internée avec sa vieille mère, qui finira gazée pour « crime de cheveux blancs » (sic), Germaine n’a jamais dû endurer la souffrance maternelle. Se sachant condamnée, Emilie Tilllion fait en effet preuve d’un courage héroïque qui lui fait accepter son sort la tête haute. « Non, Dieu n’était pas absent, il éclairait le beau visage d’Emilie Tillion », toujours rayonnante malgré les circonstances, témoigne Geneviève de Gaulle.

De ces aventures humaines, Marie-Josèphe Bonnet tire une leçon de survie en milieu hostile : se mettre à la place de l’autre sans s’oublier soi-même, voilà le remède à l’assèchement de l’âme. Souvent émouvant, cet éloge de l’empathie réconcilie histoire et mémoire. Imprescriptible.

Plus forte que la mort. Survivre grâce à l’amitié dans les camps de concentration, Marie-Josèphe Bonnet, Ouest France éditions, 2015.

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*Photo : wikicommons.



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est journaliste.

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