Rude printemps pour la justice française confrontée à toute une série d’événements qui témoignent d’une certaine désinvolture, sinon d’un véritable mépris pour le droit de la part de la sphère politique et des médias. L’instrumentalisation de cette justice à des fins qui ne sont pas les siennes n’est pas seulement devenue habituelle ; elle est désormais revendiquée comme telle. Les réactions à la décision de relaxe des deux policiers poursuivis suite à la mort des jeunes Zyed et Bouna à Clichy-sous-Bois en 2005 en sont une belle illustration.
« La décision est choquante pour les parties civiles » nous a déclaré un de leurs avocats après la décision du tribunal correctionnel de Rennes. Certes, mais la première action ne devrait-elle pas être de chercher à savoir si la juridiction a ou non respecté les principes intangibles qui gouvernent le procès pénal ? Faisant ainsi son devoir et remplissant sa mission, dont il est fatigant d’être obligé de rappeler qu’elle n’est pas de « faire reconnaître le statut de victime » ou de permettre « de commencer à faire son deuil ». Elle doit simplement rendre la Justice en appliquant le droit.
Or, les observateurs qui connaissent un peu ce genre de choses savent depuis fort longtemps qu’une décision de relaxe était mécaniquement inévitable. Pour condamner quelqu’un pour non-assistance à personne en danger, la première chose à faire est de prouver la connaissance qu’avait le prévenu du danger encouru par la victime. Il fallait donc établir que les deux policiers incriminés savaient que les adolescents étaient entrés dans le transformateur où ils allaient trouver la mort. Cette preuve n’a pas pu être apportée. Et en matière de condamnation pénale on n’est pas dans le domaine du « je pense que, il est probable que, il est plausible que… ».
Mais de ça, on ne parle guère. Dominique Sopo, le patron de SOS Racisme, jamais en retard d’une indignation, proteste. « Suite à relaxe, un sentiment de dégoût face à une question éludée depuis 2005 : pourquoi des gamins irréprochables fuient la police ?… ». Eh bien non, les juges n’ont rien éludé du tout, le procès pénal n’est pas là pour ça. Ils ont traité ce qui relevait de leurs compétences et seulement ça. Vos questions, Monsieur Sopo, sont des questions politiques. Celles du rôle de la police dans les « cités » et des techniques de maintien de l’ordre, qui relèvent d’un autre débat. Et aussi légitime soit-il, le lieu pour le tenir n’est pas le prétoire.
Mais finalement, les diverses prises de position permettent de mesurer les enjeux politiques. À droite, on se félicite de la relaxe des policiers prenant parti pour eux, à gauche on fustige l’injustice faite « aux quartiers ». À droite on approuve le juge, à gauche on le stigmatise. Les choses peuvent d’ailleurs s’inverser, comme par exemple lorsqu’il s’agit des multiples avanies pénales infligées à Nicolas Sarkozy. Là, ce sera un fougueux parlementaire de droite vous dira que le juge « se déshonore », la gauche qui n’en croit pas un mot répondra la main sur le cœur « qu’il faut faire confiance à la justice ». Tout ceci est plein d’arrière-pensées.
Eh oui, pour Monsieur Sopo, et beaucoup d’autres, les malheureux gamins ne fuyaient pas n’importe quelle police. Rappelons-nous les événements et leur déroulement. Ce que la justice vient définitivement de considérer comme un accident, et non pas une faute pénale volontaire fut l’étincelle d’un embrasement qui couvait. Dont les racines étaient sociales, économiques et politiques. Le lien de causalité est celui de la goutte d’eau faisant déborder le vase. Et qui était le ministre de l’intérieur à cette époque ? Quelqu’un qui avait dit imprudemment qu’il fallait passer les banlieues au Kärcher…
Le Président de la République Jacques Chirac, marqué par l’affaire Oussekine prônait la modération et Nicolas Sarkozy, tout à sa trajectoire présidentielle, ne voulait surtout pas d’incident grave pouvant générer une situation incontrôlable. De ce point de vue, nous fûmes pendant quelque temps sur le fil du rasoir. Mais, le Parti Socialiste ne fut pas en reste. Mettant de l’huile sur le feu, et activant la tension pour en faire porter la responsabilité à celui dont il sentait bien qu’il serait son adversaire pour 2007. C’est ainsi que, spéculant sur la douleur des familles, des amis et sur l’émotion des banlieues, on décida de faire porter la responsabilité du déclenchement des émeutes à la police et à son chef. L’instrumentalisation dont il faut se rappeler l’importance visait à valider un mensonge : l’existence d’une grave bavure policière. Rappelons-nous les mises en scène, où le maire de Clichy-sous-Bois et les avocats des parties civiles étaient à la manœuvre. Ce qui permet aux ignorants de dire aujourd’hui, après la relaxe, que la France est pire que les États-Unis où pourtant Youtube nous permet de constater qu’on y tire les Noirs régulièrement comme des lapins.
Et c’est ainsi que l’on a amené familles et proches des malheureux Zyed et Bouna dans une impasse. Provoquant douleur, colère et incompréhension face à l’inévitable décision de relaxe. Et permettant aux bonnes âmes de se défausser de leur mauvaise action en faisant porter aux magistrats la responsabilité de la souffrance et de la colère, alors que c’est bien leur instrumentalisation qui en est à l’origine. Et pourtant, on enfonce le clou, en annonçant un appel de la partie civile. Alors même que celui-ci, en l’absence de recours du parquet n’a pas d’effet dévolutif. Et que par conséquent la procédure pénale est éteinte. Accompagnant ce jusqu’au-boutisme d’élans excessifs démontrant le caractère étroitement politicien de la démarche.
Je lisais sur les réseaux cette drôle de phrase de la part de quelqu’un qui s’indignait de la décision de relaxe : « Alors comme ça Zyed et Bouna sont morts pour rien ? » Évidemment. Horrible et injuste, cette disparition accidentelle de deux enfants que personne n’avait voulue, n’a aucun sens. L’injustice d’une condamnation des policiers ne lui en aurait pas plus donné.
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