C’était hier soir, sur France 2. Yves Calvi avait eu la bonne idée d’inviter Dominique Voynet à son émission « Mots Croisés ». Le sénateur et maire de Montreuil[1. Désolé, mais sénatrice n’est admise par l’Académie française que par la femme d’un sénateur polonais ou suédois. Eric Besson veille. Faudrait pas charrier quand même.] fut le temps d’une saison l’égérie des Verts français. C’était au siècle dernier, ce siècle maudit où Cécile Duflot n’existait pas encore et où il était permis à une ministresse de l’Ecologie de déclarer que « le naufrage de l’Erika n’était pas la catastrophe du siècle ». Bref, un siècle loué entre tous où les marées noires invitaient le passant aussi écologiste fût-il à circuler, puisqu’il n’y a jamais rien à voir.
Donc, Dominique Voynet était l’invitée d’Yves Calvi. Et comme Yves Calvi, qui est l’un des meilleurs journalistes français, n’est pas méchant garçon, il a convié à son émission l’un et l’autre commensal pour passer le sénateur-maire de Montreuil sur le gril d’une toute petite chose sans importance qu’on appelle la liberté de la presse. Comme Yves Calvi n’est pas méchant garçon, mais un garçon tout de même, il avait invité Yvan Rioufol et Elisabeth Lévy à débattre avec le sénateur-maire de Montreuil.
Bon, Yvan Rioufol, c’est pas pour cancaner, mais il n’y a plus rien à faire pour lui : le paradis écologique, celui où Yann Arthus-Bertrand vient éliminer chérubins et séraphins à coups de pale d’hélicoptère (Le Ciel vu du Ciel), lui est définitivement interdit. Il est journaliste au Figaro. Quant à Elisabeth Lévy, elle qui n’a jamais déforesté l’Amazonie pour imprimer un quotidien vespéral (il n’est même pas dit qu’elle soit d’une exemplaire assiduité aux vêpres, fussent-elles siciliennes), elle ne présentait a priori aucun dangereux antécédent pour subir l’avoinée de Voynet.
Pourtant, lorsque Elisabeth Lévy osa la référence à l’article que Jérôme Leroy avait publié le jour-même sur Benoît Frachon, Dominique Voynet sortit (j’hésite, mais je mettrais bien « sorta », histoire de féminiser un peu le propos) de ses gonds. Pour celles et ceusses qui n’ont pas le temps de lire, Jérôme Leroy évoquait dans son papier la décision de Mme Voynet de débaptiser la place de Montreuil qui portait le nom du leader historique de la CGT, Benoît Frachon, pour lui donner le nom d’Aimé Césaire. Mémoire contre mémoire : ça se discute.
Eh bien, non. Mme Voynet ne discute pas. Mme Voynet ne veut pas discuter. Mme Voynet n’aime pas la discussion. Vous savez, la discussion, ça lui donne envie de vomir. Et d’étendre son propos en proclamant en guise de seul argument : « Le site causeur.fr est à vomir. »
Nous vous faisons vomir ? Madame le sénateur, je vais vous apprendre deux ou trois choses que vous semblez ignorer et qui sont, peut-être, à l’origine de tous les échecs politiques de votre vie.
La première, c’est qu’en politique, même empreint de contrariété, on ne vomit pas. Spinoza (polisseur de lentilles à Amsterdam, même pas fumeur de Marie-Jeanne et, pourtant, un tantinet philosophe à ses heures) écrivait que l’ordre politique substituait à l’ennemi, celui qu’il s’agit de faire passer au fil de son épée, l’adversaire, celui qu’il s’agit de contrer par des arguments raisonnés.
Et la politique, depuis son invention par des Grecs qui n’éprouvaient même pas le besoin de se pacser pour être ce qu’ils étaient, c’est cela : la substitution du dialogue au meurtre. En employant le terme « vomir » pour disqualifier ceux avec lesquels vous êtes en désaccord, vous niez jusqu’à la possibilité-même d’échanger des arguments et vous placez dans le champ organique.
Mon dictionnaire, Madame, qui ne me fait jamais défaut, m’apprend que vomir consiste à « rejeter par la bouche, spasmodiquement, des matières contenues dans l’estomac ». Vos spasmes ne sont pas les arguments propres à l’ordre juridico-politique, mais les borborygmes inarticulés dont Rousseau parle au début de son Essai sur l’origine des langues.
La politique, pour vous résumer les vingt derniers siècles qui vous ont précédée et qui lentement ont doté l’homme d’un esprit, cela consiste à ar-ti-cu-ler la pensée, c’est-à-dire à exposer ses arguments, à faire suffisamment confiance à la raison pour que celle-ci ne soit pas engloutie sous les vagues naturelles du vomi. Ce que l’on appelle même l’Humanité – avec un grand H, eh oui, comme le journal –, cela consiste à user de sa glotte pour prononcer des sons audibles et réfréner les matières contenues dans l’estomac. Libres aventures de la raison humaine qui auront eu raison de la barbarie émétique pour asseoir l’homme autour d’une table et le faire dialoguer avec ses semblables. Convenablement, sans vomir.
Je vous prends au mot, Madame, puisque le mot « vomir » vous l’avez prononcé. Votre politique n’est plus aujourd’hui une conversation, mais un jet de matières contenues dans votre estomac. De quoi se composera-t-elle demain ? De déjections ou d’excréments ? Peut-être de merde ! Prenez garde : Céline vous a déjà à l’oeil. Et l’Aragon du Traité du Style ne serait pas loin de vous si, précisément, du style vous en aviez. Elevez-vous un peu. Arrêtez de renifler l’odeur si agréable des merguez – j’aime aussi, quand j’ai faim – et plongez-vous dans le Neveu de Rameau, de Diderot : vous vous apercevrez que votre vomissure est le stade ultime du nihilisme.
Il n’y a pas de nourritures spirituelles, dites-vous. Il faut que ça vomisse ou que ça sente la merguez. Nous ne le croyons pas ici, à Causeur. Nous sommes comme les vieux popes orthodoxes de la Sainte Montagne, qui professent que les mots valent quelque chose et peuvent soutenir le monde. A défaut de le sauver.
Madame, je vous le dis comme je le pense : vous êtes une nihiliste. Vous ne vous contentez pas de nier qu’il puisse y avoir, pour faire une société politique, un échange d’arguments, vous les régurgitez, les conchiez de la bouche, les vomissez. Vous ne croyez pas que l’homme soit un être doué de parole ou de raison, quand il est, pour vous, seulement doué de vomi.
Vomir, Madame, quand on n’est pas d’accord, ça ne se fait pas en politique. Ça ne se fait pas en démocratie. Ça ne se fait pas, tout court, en société. Vous a-t-on appris les bonnes manières ?
Auriez-vous pris, d’ailleurs, un peu plus de temps que vous vous seriez aperçue qu’il y a de tout sur Causeur. Surtout des gens qui ne sont pas d’accord entre eux : staliniens, trotsko, socialistes, centristes, gaullistes, polanskistes, hétérotes de gauche, pédettes de droite, libéraux du milieu, ultragauchistes de droite, ultradroitistes de gauche qui fraternisent sur le forum et vous bousillent le moindre caténaire qui passe à leur portée. Rien que de la contradiction. Des athées et des cathos ; on me signale même un juif au fond de la salle, j’ai de la peine à y croire : pas ça, pas nous !
Mais personne ici ne se vomit les uns les autres, parce que chacun croit que rien n’importe plus, en douce France, que le désaccord et l’échange passionné d’arguments. La castagne républicaine : voilà ce que nous préférons à toute démocratie participative. Le champ des idées plutôt que les champs de Beauce ou de Brie, où vos bobos de Montreuil viennent couper l’OGM en familles monoparentales entières, parce qu’ils n’ont jamais appris et ne connaîtront jamais le geste auguste du faucheur.
Mais que diable prendre le temps de vous écrire ! Vous ne pouvez pas comprendre. Vous vous en foutez, puisque vous êtes occupée, de tout votre être, à vomir. Vous nous vomissez, dites-vous. Soyez en sûre alors, votre vomi, plus belle flétrissure apportée ces dernières années à l’idée-même de débat contradictoire, je me le mets là où je le peux, avec orgueil, ostentation, comme le ferait un vertueux adolescent d’un accroche-coeur.
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