Bronca anti-Ménard: Cachez ces statistiques ethniques…


Bronca anti-Ménard: Cachez ces statistiques ethniques…

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Lundi soir dans l’émission Mots croisés, Robert Ménard a mis le pied dans un plat rempli de bons sentiments : lui et sa mairie établissent des « statistiques ethniques « sauvages » des élèves de primaire de la ville. Il faut dire que le maire de Béziers, élu avec le soutien de Debout la France – vous savez déjà qu’il est soutenu par le FN car tout  journaliste qui se respecte ne manque jamais de nous le rappeler –, est allé assez loin dans ses propos chez Anne-Sophie Lapix, évoquant un chiffre très précis : il y aurait 64.6% d’élèves d’origine musulmane dans certaines classes biterroises, d’après les données – formellement interdites par la loi – que ses services municipaux ont recueillies.

Il faut savoir qu’en privé, les maires reconnaissent la généralité de cette pratique. Lorsqu’il s’agit de gérer le logement, l’éducation, ou la culture, chacun essayant alors de connaître les origines et la confession de ses administrés. Un maire chevronné m’a raconté comment, à chaque rentrée scolaire, il scrute les listes d’élèves placardées aux portes des classes car ses statistiques sauvages lui permettent de se faire une idée de l’ampleur de la tâche qui attend les instituteurs. Pour la ville, savoir à qui l’on dispense des cours conditionne l’allocation de moyens supplémentaires aux instituteurs, aux enfants et à leurs familles.

Manuel Valls, alors maire d’Evry, a fait la même chose avant d’être enregistré à son insu en train de remarquer le déséquilibre ethnique de sa ville avec sa célèbre sorties : « Belle image de la ville d’Evry. Tu me mets quelques blancs, quelques white, quelques blancos ? » Valls a ainsi procédé à un sondage express pendant la visite d’une  brocante, en recensant au doigt mouillé le nombre de Noirs, d’Arabes et, par élimination, de « Blancos », autrement dit ceux qui ne sont membres d’aucune minorité supposée visible. Il y a six ans, Valls a assumé ses propos en affirmant vouloir « lutter contre le ghetto. C’est quoi le ghetto? On met les gens les plus pauvres, souvent issus de l’immigration – et pas seulement – dans les mêmes villes, dans les mêmes quartiers, dans les mêmes cages d’escalier, dans les mêmes écoles« . Comment, peut-on se demander aujourd’hui, pouvait-il éviter la ghettoïsation des quartiers, des cages d’escalier et des écoles ? Même s’il a évoqué les facteurs économiques de l’exclusion – il parlait des plus pauvres – il est évident que la dimension culturelle –l’origine et la confession – est entrée dans ses calculs. S’est-il vraiment contenté des visites de brocantes pour empêcher la ghettoïsation des écoles primaires d’Evry ?

Pas besoin d’être un expert de l’INSEE pour faire pièce à la méthodologie statistique de Valls. Ceci étant, cette façon d’humer le terrain est la seule manière de se faire une idée de la réalité, quitte à violer l’esprit de la loi, sinon sa lettre.

Le sociologue Hugues Lagrange ne dit pas autre chose dans son livre dont le titre Le déni des cultures – renvoie dans leurs cordes les indignés professionnels. Décrivant les émeutes urbaines de l’automne 2005, Lagrange explique que celles-ci « ont d’abord impliqué des adolescents masculins qui cumulent plus de difficultés scolaires que les filles. Ces réalités sont l’expression d’arrangements familiaux et de rapports entre les sexes qui tranchent radicalement avec l’évolution des mœurs en Europe  […].”  Mais ces réalités sont occultées par des pouvoirs publics, de gauche comme de droite, qui hésitent entre “l’affirmation d’une indifférence […] à la confession, à la couleur de la peau et à la culture d’origine et des actions ostentatoires pour refouler les “nouveaux barbares” .

Lagrange fonde ses constats sur une connaissance fine de certains quartiers de Mantes-la-Jolie, en immersion parmi les habitants immigrés arrivés du Sahel ces vingt dernières années. Il met en évidence le choc des cultures et montre l’importance de facteurs telles que la polygamie, la taille des fratries, les relations intergénérationnelles qui assurent l’autorité du grand frère, ou la différence d’âge entre mari et femme. Le sociologue estime que sans la prise en compte de ces éléments ethnoculturels, il est impossible de comprendre l’échec des “politiques de la ville”, de proposer des solutions et d’allouer efficacement les moyens pour résoudre les difficultés des immigrés.

À cette nécessaire connaissance économique et anthropologique des populations que l’on administre, on continue à opposer le spectre de la rafle du Vel d’hiv. On essaie de nous faire croire que si jamais Robert Ménard recueille des données sur la religion et l’origine des enfants d’écoles biterrois, les wagons à bestiaux roulant vers l’Est se remettront en marche… C’est une véritable insulte aux victimes des années 1930 et 1940.

D’autres avancent que les catégories de fichage, loin de permettre de se faire une idée du réel, le façonnent, qu’à force de cocher la case « Juif » ou « né en France d’au moins un parent né en Afrique », on finit par devenir membre du groupe auquel nous assigne. Comme si nous n’étions pas déjà en situation de communautarisme et d’« identitarisme » galopant. Quand bien même les statistiques ethniques façonnent la réalité en même temps qu’elles la reflètent, ces données permettraient d’améliorer la situation, ne serait-ce qu’en remplaçant les fantasmes par des chiffres.

En fin de compte, le rejet violent et épidermique des statistiques ethniques s’appuie sur un mensonge généralisé. Tout le monde sait que c’est un ressort essentiel de l’action politique, et dresse sa comptabilité sauvage sous le manteau, mais malheur à celui qui – comme Valls hier et Ménard aujourd’hui – brise l’omerta. Le recensement ethnique ? Y penser toujours, le faire aussi souvent que possible mais n’en parler jamais…

*Photo : Pixabay.



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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