S’il restait encore quelques doutes sur le fait que les Verts, (pardon on dit Europe Ecologie maintenant), sont les alliés objectifs de la droite libérale, la récente affaire de réécriture de l’histoire et de trafic de toponymie à Montreuil, la première ville de Seine Saint-Denis, ils sont dissipés par la décision adoptée récemment par le conseil municipal présidé par Dominique Voynet. Laquelle a visiblement oublié sa formation de médecin-anesthésiste pour se révéler capable d’amputer la mémoire ouvrière à coups de hachoir.
Aux dernières élections municipales, Dominique Voynet est devenue maire de Montreuil, vieille ville communiste de 110.000 habitants dirigée par Jean-Pierre Brard. L’affrontement fut présenté à l’époque comme le combat titanesque entre une femme jeune, verte, moderne, qui sentait bon sous les bras, et un apparatchik brejnévien, gris, triste comme un matin de purge au Kremlin. Fifi Brindacier chez les Soviets du 93.
Evidemment, les choses étaient un peu plus compliquées. Dominique Voynet n’était tout de même pas une colombe de l’année aux ailes chlorophylliennes : deux candidatures calamiteuses à la présidentielle, la direction politique des écolos, l’inutile ministère de l’Environnement sous Jospin et comme Madame était incapable de se faire élire maire dans sa ville de Dole, ses alliés socialistes lui avaient concocté un siège tout chaud de sénateur. Vous savez ; le Sénat, cette chambre pour notables en surcharge pondérale, avec en option le cholestérol, les triglycérides et une vision rurale-conservatrice de la France qui ferait passer les hobereaux de Balzac pour des punks. Il ne semble pas que cela ait gêné Dominique Voynet qui en bonne jurassienne sait reconnaître un vrai beau fromage. Que ce soit un Morbier, un Comté ou un siège à la haute assemblée, peu importe le flacon pourvu qu’on ait la crème.
Mais l’appétit vient en mangeant. Madone un peu moins adorée dans son propre parti, un peu oubliée sous les ors du Luxembourg, elle décide, au municipales de 2008, de devenir maire. Et comme tous les handicapés de gauche du suffrage universel direct, elle choisit de taper dans le vivier communiste et de continuer à déchirer en lambeaux la fameuse ceinture rouge. C’est quand même plus facile de s’attaquer à des fiefs communistes sous une étiquette de gauche par les temps qui courent…Demandez à Elisabeth Guigou, par exemple, qui en avait assez de se faire battre en Avignon et qui est venue se réfugier dans le 9-3, parachutée dans une circonscription communiste sur mesure.
Le choix de Montreuil, pour Voynet, ce n’était pas une mauvaise idée, au contraire, et c’est à ce genre de choses que l’on voit que la militante environnementaliste est devenue une vieille routière de la carte électorale. Elle est partie d’un constat simple, Dominique Voynet. La gentryfication de Paris pousse les gentils bobos trentenaires, surtout quand ils commencent à se reproduire (non, non, ils ne sont pas tous gays et l’adoption, c’est pas encore joué…) à trouver d’autres logements, voire pour ces révolutionnaires des toilettes sèches à chercher, ô honte suprême, à accéder à la propriété, ce rêve de prolos ou de petit-bourgeois qui n’ont jamais rien compris au nomadisme post-moderne.
Donc, tout ce petit monde, que Guy Debord avait déjà parfaitement cerné dès 1990 dans In girum, « petits agents spécialisés dans les divers emplois de ces services dont le système productif actuel a si impérieusement besoin : gestion, contrôle, entretien, recherche, enseignement, propagande, amusement et pseudo critique », veut se loger plus grand et en même temps ne pas être trop éloignés des endroits où se passe la vraie vie : bars à eaux, librairies citoyennes, marchés bios, salles de concerts ou de théâtres subventionnés.
Et c’est ainsi que Montreuil devint leur terre promise, leur Ultima Thulé, et c’est ainsi que Dominique Voynet, passionaria du non-cumul des mandats, s’est retrouvé sénateur-maire (ou sénateureu maireu ou sénatrice-mairesse[1. Quand on veut féminiser, faut assumer…]).
La pénible affaire de la place Benoît Frachon, leader historique de la CGT, un des grands noms de la mémoire ouvrière française, n’arrive donc pas pare hasard. Voynet a peut-être senti à Montreuil ce que Pasolini appelle, dans les Ecrits corsaires, « la scandaleuse force révolutionnaire du passé ». Et en matière de passé, Montreuil, c’est du lourd – le siège historique de la CGT, la mémoire de la lutte des classes. L’horreur, pour la néo-bourgeoisie éclairée. Frachon, c’est une époque où la priorité n’était pas de diffuser le tri sélectif des déchets mais d’avoir l’eau courante, où on courait des risques, comme Frachon en août 1944 lorsqu’il signa dans l’Huma l’appel à l’insurrection des métallos parisiens – autre chose qu’une pétition pour les obscurantistes moines tibétains ou la déforestation en Amazonie ; une époque où le commerce équitable ne consistait pas à se déculpabiliser en achetant une livre de café Max Havelaar mais à assurer des soupes populaires, quitte à se retrouver en taule.
Il n’y aura donc plus de place Benoît Frachon à Montreuil, juste une petite esplanade devant les locaux historiques de la CGT. Dominique Voynet a préféré Aimé Césaire. Césaire, ça ne mange pas de pain. On doit trouver Aimé Césaire dans les bibliothèques de ses électeurs. Sa plainte est universelle, comme on dit. Figure inattaquable de l’anticolonialisme, n’est-ce pas ? Il paraît, dixit Voynet, que son nom « parle plus » aux habitants de Montreuil que celui de Frachon. Je n’ai rien contre Aimé Césaire, après tout, ce fut un poète, certes un peu grandiloquent, de l’émancipation anticolonialiste.
Mais cela ne change pas le fond des choses : les Verts qui se veulent la gauche ouverte et moderne de demain ont décidé d’en finir avec un mauvais rêve qui est celui de l’hypothèse communiste et de sa mémoire. Ils mettront, à les détruire, autant d’acharnement que la droite la plus libérale.
Et ils le feront joyeusement, comme de bons petits fonctionnaires orwelliens du ministère de la Vérité, chargés de falsifier le passé en le réécrivant constamment.
Ils n’ont pas encore gagné la partie. Un chômage exponentiel et une paupérisation galopante risquent de rendre au fantôme de Benoît Frachon quelques jolies couleurs.
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