Don d’organe: vers une «nationalisation des corps»?


(Avec AFP) – Faut-il passer outre l’avis des familles avant de prélever un organe sur une personne décédée ? Les députés se prononcent cette semaine sur un amendement renforçant le principe du consentement présumé, qui ne fait pas l’unanimité, en particulier chez certains médecins.

« Il est inconcevable de passer outre le témoignage d’une famille en deuil. Une telle attitude sera vécue par les familles comme une négation de la personnalité et de la mémoire du défunt », soulignent les présidentes de la Société française de médecine des prélèvements d’organes et tissus (SFMPOT), le Dr Vanessa Labeye, et de l’Association française des Coordinateurs hospitaliers (AFCH), Carole Genty.

L’amendement prévoit qu’à partir de 2018, le consentement au don d’organes sera présumé chez toute personne majeure décédée, sauf si son nom figure dans le registre national des refus. Ses proches seront seulement « informés des prélèvements envisagés et de la finalité de ces prélèvements » et non plus consultés, comme c’est le cas jusqu’à présent.

Pour son auteur, le député PS et médecin Jean-Louis Touraine, l’amendement permettra aux familles de ne pas « être perturbées lors de la période du deuil ».

Jean-Pierre Scotti, le président de la Fondation Greffe de vie qui milite pour une modification de la loi actuelle, souligne pour sa part que l’amendement va « sauver des centaines de vies », en augmentant le nombre de greffons disponibles.

19.000 personnes sont aujourd’hui en attente d’une greffe en France. Et ce nombre augmente plus vite que le nombre d’organes prélevés, en raison d’un taux de refus qui avoisine les 40% alors même que, selon un sondage réalisé en 2013, près de 80% des Français seraient prêts à donner leurs organes.

Pour les promoteurs de l’amendement, soutenu par le gouvernement, l’explication réside dans l’attitude souvent négative des familles qui, interrogées dans un moment de choc émotionnel, optent pour le non par précaution « quitte à le regretter par la suite ».

Mais pour les médecins et infirmiers chargés de faire les prélèvements, l’application de l’amendement « conduira de manière inéluctable à une perte de la notion de don pour tout ce qu’il contient d’humanité et risque de produire des effets opposés à ceux attendus » souligne la présidente de la SFMPOT qui réclame le retrait de l’amendement.

Seulement 100.000 noms figurent à ce jour sur le registre des refus. Car, pour « de nombreuses personnes », il est difficile d’envisager sa propre mort « par crainte, par gêne ou par superstition » et s’inscrire sur un registre équivaudrait « à un passage à l’acte », relève le Dr Labeye.

Le Pr Claude Ecoffey, président de la société française d’anesthésie et de réanimation (SFAR), estime, lui, que la mesure « heurte les fondements éthiques du don et s’avère inapplicable en pratique ».

Elle risque, selon lui, « d’augmenter les conflits et d’être interprétée par les familles comme un don réalisé contre leur volonté et/ou celle du défunt dans une sorte de « nationalisation des corps » ».

« Croire que les médecins prélèveront dans une telle situation est tout autant illusoire », ajoute-t-il.

La non consultation des proches est également contestée par certains groupes religieux, voire même par certains anciens greffés.

« Je crains des réactions délétères des familles qui risquent de se sentir agressées par l’application stricto sensu de ce texte », relève Yvanie Caillé, directrice de l’association de malades et greffés du rein Renaloo.

Ce qui prime selon elle, comme pour la SFMPOT, c’est l’importance d’un « dialogue » entre les parents et les équipes de coordination, du type de celui qui existe en Espagne où le taux de refus atteint seulement 15%.

Face à ces critiques, Jean-Louis Touraine semble prêt à des concessions : « Chaque fois qu’il y aura une opposition majeure (de la famille), il n’y aura pas de demande de prélèvement », a-t-il déclaré à des journalistes. Et pour les mineurs, le consentement de la famille restera nécessaire.



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Journaliste et syndicaliste, Manuel Moreau est engagé dans le mouvement social.

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