007 a bien fait de raccrocher son smoking et de rendre son permis de tuer. Le Monde ne suffit pas et surtout ne le mérite pas vu la triste polémique de cette semaine. Bond ne ménageait pourtant pas ses efforts pour déjouer les plans les plus infâmes sans grever le budget de la Nation ! Il lui suffisait de posséder un Walther PPK, de conduire une Aston-Martin et accessoirement de boire quelques vodka-martini (pas à la cuillère comme la tradition l’exige) pour éviter le déclenchement d’une Troisième Guerre Mondiale. Et avec ça, toujours un mot gentil pour Miss Moneypenny, respectueux de la hiérarchie, « M » n’eut jamais à s’en plaindre, d’une fidélité exemplaire à sa Majesté, parfois un peu brutal avec le matériel, « Q » s’étant fait une raison au fil du temps, en somme, le parfait gentleman. Notre défenseur du monde civilisé que même les Rouges avaient fini par aimer pour son anachronisme réjouissant.
Mais cet espion tiré à quatre épingles ne cadre plus avec les mœurs sauvages d’une époque clinique. Aujourd’hui, la menace est insidieuse, le méchant de l’histoire s’est paré d’un humanisme en peau de lapin. Il n’a pas de dents en or et ne projette plus de détruire des satellites. Le méchant est derrière son ordinateur, anonyme parmi les anonymes, il traque le crypto-réactionnaire. Il chasse la formule équivoque, il ensemence le complot, il interprète le malin, il défend (mal) les opprimés qui ne lui ont rien demandé. Chaque phrase de Bond est disséquée, analysée pour en extraire un fiel imaginaire. La bien-pensance pousse décidément loin la transparence. C’est terrifiant !
Pour soigner ce délire de persécution, nous conseillons à ces procureurs virtuels de lire les Mémoires de Roger Moore qui viennent de paraître chez First Editions. Sir Moore n’en est pas à son coup d’essai. Depuis plusieurs années, il raconte sa vie de Saint à travers des livres à l’humour british et au ton fanfaron. Le second degré est sa seconde nature. Dans ce fourre-tout aux allures de Plum-Pudding, l’ex-agent secret a rangé souvenirs de tournages, coulisses de Pinewood (les studios de la banlieue de Londres aussi célèbres que Cinecittà à Rome), amours de plateaux, bagarres de producteurs et anecdotes désopilantes sur une étrange peuplade que sont les acteurs. Le casting a de quoi éblouir les cinéphiles : Ava Gardner, Bette Davis, Walt Disney, David Niven, Tony Curtis, Gregory Peck, Peter O’Toole, Peter Sellers, Michael Caine ou encore le Rat Pack au complet. Que du micheton garanti Hollywood Boulevard ! Le cinéma de ces années-là ne ressemblait pas à la vie. Il n’imitait pas nos tristes existences, il nourrissait notre mégalomanie. Un vieux Bond au ciné vaut mieux qu’une séance sur le divan.
À l’écran déjà, le style de Roger Moore était baroque, à cheval entre élégance surannée et gaudriole rafraichissante. Whisky et p’tites pépées qui feraient rugir nos nouvelles ligues de vertu. Cet agent secret partage l’esprit boulevardier de la comédie italienne, à la fois classieux et déboutonné. Qu’il s’appelle Brett Sinclair ou Simon Templar, Moore joue les désabusés lyriques. Revoir un épisode d’Amicalement vôtre guérira tous ces esprits chagrins. Mais qui peut bien chercher des noises au play-boy de notre enfance ? Son Altesse sapée comme un milord, l’œil qui frise, la main avenante, n’a pas grand-chose à voir avec les héros dopés aux hormones des dernières productions. L’action a remplacé le bavardage. Une fois de plus, les mots ont perdu la bataille idéologique. Quand le nouveau Bond, particulièrement efficace et résistant, endosse le costume trois pièces, on dirait qu’il part faire un footing. Roger Moore s’enorgueillit de n’avoir pas effectué une seule de ses cascades. « J’aimais beaucoup passer du temps avec les cascadeurs, autour d’un repas ou d’une partie de cartes entre deux prises » écrit-il en bon disciple de Churchill. À propos de Daniel Craig qui incarne Bond pour la quatrième fois (Spectre sortira en fin d’année), il ne tarit pas d’éloges : « C’est l’agent 007 parfait, et à son air, on le croirait réellement capable de tuer, alors que moi, je me contentais d’étouffer mes ennemis ou de les ennuyer à mourir… » et ne manque pas d’autodérision.
Mémoires, Roger Moore, First Editions.
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