« On ne peut formellement montrer l’inexistence d’un risque… »
Dans leur grande honnêteté scientifique, les membres de la commission d’experts sur les radiofréquences de l’Agence française pour la sécurité sanitaire et l’environnement (Afsset) ont inclus cette clause de modestie dans leur rapport récemment remis au gouvernement. Il s’agissait d’établir si les ondes émises par les téléphones portables et antennes-relais disséminées sur le territoire constituaient un danger pour la santé.
Ce rapport, qui recense et évalue toutes les études réalisées à ce jour sur cette question, publie les auditions d’experts français et étrangers –physiciens, biologistes, médecins – est parfois hermétique pour les non-spécialistes, mais ses conclusions sont nettes et sans bavures. Dans l’état actuel de nos connaissances, rien n’établit de manière certaine que l’usage du téléphone portable ou la résidence à proximité des antennes-relais provoque des désordres graves de la santé des humains. Même la question de l’hypersensibilité magnétique, qui rendrait certains sujets plus vulnérables que d’autres à l’exposition aux radiofréquences, est renvoyée au registre de l’hystérie faute d’avoir pu être mise sur le compte de désordres cellulaires induits par ces ondes aussi malfaisantes qu’invisibles…
Mais comme on ne peut pas formellement démontrer l’inexistence d’un risque, ne serait-ce qu’en raison du manque de recul nécessaire pour évaluer les effets à long terme d’une exposition continue, les experts missionnés ne se sentent pas autorisés à trancher une fois pour toutes de la question. Ce sont des scientifiques, et non des idéologues. Ils proposent donc quelques vagues mesures de précaution, notamment pour les enfants, qui, si elles ne font pas de bien, ne font pas de mal.
Cela permet à nos habituels prêcheurs d’apocalypse de brandir leur « principe de précaution » comme les inquisiteurs de jadis arboraient leurs crucifix avant de brûler les hérétiques. La moindre incertitude, l’hypothèse que, peut-être, au bout de quatre-vingts ans l’utilisation intensive du GSM dézingue quelque neurones supplémentaires dans le cortex des vieillards du futur devrait, selon eux, nous inciter à instaurer un » moratoire » sur le développement de la téléphonie mobile, comme les écolos ont réussi à freiner, dans nos contrées, le développement des OGM. Le fonctionnement de nos chevaliers blancs de l’environnement est maintenant bien rodé : le nouveau engendre de l’inquiétude dans une population méfiante vis-à-vis de technologies toujours plus compliquées et sophistiquées. Les idéologues de la décroissance et autres militants de la nouvelle austérité attisent cette inquiétude pour la transformer en panique, rendant ces technologies responsables des calamités présentes et à venir : cancers divers et variés, Alzheimer précoces, malformations des nouveaux nés et autres drames sanitaires effroyables.
Comme le discours inverse ne mobilise pas des affects aussi puissants que la peur de la mort, et se fonde sur la notion de « risque acceptable » dans l’état actuel de nos connaissances, il est facile de le caricaturer et de faire passer ceux qui le tiennent pour de dangereux irresponsables.
La téléphonie mobile tue, certes, mais principalement dans le personnel d’un établissement qui est chargé de sa diffusion et de sa maintenance. Elle réduit également l’espérance de vie de ceux qui, pour des raisons professionnelles, se trouvent joignables et corvéables à merci par leur hiérarchie. On conviendra que les ondes mystérieuses n’ont que peu de responsabilité dans cette mortalité et le développement de ces pathologies.
Les fantasmes entretenus autour de la nocivité physique du portable offrent même un prétexte aux chefs d’établissements scolaires pour se défausser sur un prétexte sanitaire pour interdire son usage à l’école. Comme s’il était grossier de priver les gamins de leur gadget pendant les heures de classe parce que c’est comme ça et pas autrement !
Alors que fait le gouvernement quand il est confronté aux bataillons des associations paniquardes ? Il fait un » Grenelle » ! Après celui de l’environnement qui accoucha d’une funeste taxe carbone dont nous vous avons déjà entretenu, s’annonce le Grenelle des ondes où devront dialoguer ceux qui savent, et ceux qui parlent sans savoir, mais gueulent fort. Puis viendra, sans doute, celui des nanotechnologies à propos desquelles l’on entend déjà gronder les faux prophètes de malheur.
En 1992, à l’occasion du Sommet de la Terre, quelques milliers de scientifiques de haut niveau, parmi lesquels une bonne centaine de Prix Nobel, lançaient l’appel de Heidelberg où l’on pouvait lire :
« Nous soulignons que bon nombre d’activités humaines essentielles sont effectuées soit dans la manipulation de substances dangereuses, soit dans la proximité de ces substances, et que le progrès et le développement ont toujours nécessité de plus en plus de contrôle contre les forces hostiles, et ce, dans l’intérêt de l’humanité. Nous considérons donc que l’écologie scientifique n’est rien de plus que le prolongement du progrès continuel vers une vie meilleure pour les générations futures. Nous avons l’intention de faire valoir les responsabilités et obligations de la science à l’égard de la société. Nous prévenons toutefois les autorités en charge de la destinée de notre planète contre les décisions soutenues par des arguments pseudo-scientifiques ou des données fausses et non-pertinentes. »
C’était au siècle dernier, hélas !
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