Castration chimique : on a beau m’assurer que celle-ci serait à la fois temporaire et volontaire, que la décision d’y avoir recours ne serait prise que par des experts assermentés issus du corps médical, l’expression ne laisse pas de m’impressionner. À en croire le dictionnaire, la castration tout court, si je puis dire, est une opération chirurgicale visant à empêcher un individu, homme ou femme, de se reproduire. Rien à voir donc, avec cette improprement nommée « castration chimique ». Celle-ci n’est nullement chirurgicale, et ne vise pas à prévenir la reproduction, mais l’acte sexuel lui-même. La « castration chimique » qu’un chœur quasi-unanime semble appeler de ses vœux aujourd’hui en France, n’a de castration que le nom, mais, je vais tenter de le montrer, c’est déjà beaucoup trop.
Pourquoi donc faudrait-il « castrer », chimiquement ou pas, un homme qui a été déclaré responsable de ses actes ? Si le condamné est jugé responsable de ses actes, on suppose qu’il est capable d’agir conformément à la loi, et que s’il ne le fait pas c’est qu’il a choisi de ne pas le faire. Comment comprendre dès lors que l’on puisse prétendre médicaliser ce qu’il faut bien appeler une peine complémentaire, qui serait mise en place au nom d’un imparable « principe de précaution » ? Ce principe de précaution que n’a d’ailleurs pas manqué d’invoquer avec ferveur hier soir sur France 2 un porte-parole de l’UMP bourré de tics élyséens, qui réduisait ainsi (par son invocation, pas par ses tics) ses contradicteurs à un silence approbatif. Le droit pénal en France, est exercé au nom du peuple français. Pourquoi faudrait-il se réclamer de la caution des experts pour décider d’une peine qui a toutes les apparences de la sanction pénale ?
Castration chimique : je ne sais pas pour vous, mais chez moi, décidément, cette expression a du mal à passer. Que l’on puisse envisager d’y avoir recours en se réclamant à la fois de ce « principe de précaution » constitutionnalisé et du sacro-saint souci des victimes ne fait qu’ajouter une couche d’horrible rhétorique humanitaro-sécuritaire à l’horreur intrinsèque du terme. Un être humain disposant encore d’une paire d’oreilles pour entendre, qu’un toréador compassionnel lui aurait fait la grâce de ne pas lui ôter en même temps que le reste, entendra ici, au-delà de tous les bons sentiments et de toutes les précautions d’experts, ce qu’il faut entendre : il s’agit d’en faire baver encore un peu au criminel.
Entendons-nous bien. Personnellement, je ne remets pas en cause le fait, évident, qu’il existe nécessairement une dimension expiatoire dans les sentences pénales. Emile Durkheim a démontré il y a déjà longtemps que les sociétés humaines ne pouvaient se passer de donner une telle dimension à la justice pénale, à moins de disparaître en tant que société. Mais c’est le paradoxe de la France d’aujourd’hui de durcir en permanence son arsenal pénal, sous couvert de protéger les victimes, et de refuser simultanément de répondre ouvertement à la volonté de punir que manifeste toujours plus bruyamment l’opinion. Avec la castration chimique, on a l’impression à l’UMP et ailleurs d’avoir enfin à la fois le beurre et l’argent du beurre : la caution des experts, grâce à l’application du gentil principe de précaution, et une réponse à la pulsion pénalisatrice des foules que la justice a tant de mal à satisfaire depuis l’abolition de la peine de mort. On prétend invoquer le consentement de celui qui y serait soumis pour plaider en faveur de la bénignité de cette peine. Mais, comme le soulignait une psychiatre dans le journal Libération, on sait bien que « le consentement, ça se travaille ». Et l’on sait en outre grâce à René Girard que ce même consentement de la victime à la peine que la communauté lui inflige est la cerise sur le gâteau des processus sacrificiels.
Castration chimique : le succès de cette expression est une manifestation évidente de cette envie du pénal, si omniprésente mais si mal assumée par l’époque, et qui remplace en outre peut-être cette autre envie dont parlait Freud. On ne se débarrasse pas comme cela de la mentalité persécutrice qui caractérise toutes les sociétés humaines. Presque trente ans après la disparition de la peine de mort dans notre pays, la focalisation du débat sur une notion aussi atroce manifeste au grand jour le grand retour du refoulé pénalisateur.
Mais encore faut-il remarquer que l’objet du scandale s’est déplacé. Ce n’est plus l’acte d’un homme conscient de faire le mal et de s’opposer ainsi aux valeurs communes d’une société, en l’occurrence le consentement nécessaire lors d’un acte sexuel, mais la libido elle-même qui est criminalisée. Un homme doit « se contrôler » et non pas agir vertueusement, et s’il ne se contrôle pas, c’est la société qui le contrôlera à sa place. On abandonne ici le domaine de la morale qui devrait être celui de la justice pénale, pour entrer dans celui de la pure technicité comportementale dont l’utilisation obsessionnelle d’un terme tel que dérapage, dans un autre domaine, marque le triomphe.
Si ce concept de castration chimique s’impose, il faudra en conclure que ce qui fait horreur à notre société, ce n’est plus qu’un homme puisse choisir librement et en usant de violence d’avoir des rapports sexuels avec une femme non consentante, mais la libido masculine elle-même. Ce n’est plus la tête qui est coupable. La faute ne résulte pas du libre choix de l’agent, mais de la pulsion libidinale elle-même.
Faut-il voir aussi, dans cette criminalisation de la libido, la conséquence de la généralisation d’une certaine vulgate sociologique, selon laquelle les individus ne sont plus vraiment considérés comme responsables de leurs actes, mais comme les simples vecteurs passifs de causes extérieures qui les agissent ? C’est possible. Mais ce qui est sûr, c’est que si l’on finit par considérer que la source de la faute réside dans la libido masculine, il faudra en conclure que ce sont tous les hommes possesseurs d’une telle libido (c’est-à-dire, je crois tous les hommes) qui sont susceptibles d’être considérés comme dangereux par la société tout entière.
Et à moins de contrevenir au principe de précaution, pourra-t-on encore laisser longtemps en liberté incontrôlée des hordes de mâles possesseurs illégitimes d’une pulsion sexuelle dont les faits divers continueront de nous prouver, presque au quotidien, qu’elle est criminogène ?
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