Les premiers chiffres l’indiquent : Le Petit Nicolas, long-métrage de Laurent Tirard sorti mercredi dernier dans plusieurs centaines de salles en France, est déjà assuré de rencontrer un franc succès populaire. Il faut dire que le « produit » a été packagé comme il convient par les professionnels du marketing cinématographique : la distribution généreuse n’omet ni Kad Mérad (vice-héros des Ch’tis), ni Michel Galabru (mais si vous savez, l’Adjudant Gerber des Gendarmes) ; la fille de Goscinny, Anne, a apporté sa « caution » officielle à cette adaptation ; la réalisation – plus classique que classique – a été confiée à l’artisan un peu chichiteux et maniéré de Molière (2007). Quant à l’ambition, faire connaître à la stupide génération SMS-MSN cette œuvre graphique et littéraire si importante des années de Gaulle, elle est éminemment louable.
Certes, le film est décevant. Et même globalement raté. Tirard échoue à restituer la poésie légère du trait de Jean-Jacques Sempé et l’humour secrètement désespéré de l’angoissé chronique qu’était Goscinny. Il ne subsiste pas grand-chose, sur l’écran, de l’acide critique de la nature humaine qui suintait littéralement des livres du fameux duo, et qui – de l’enfance à nos jour – nous fait toujours passer des rires aux larmes. Et retour. Devant le film de Tirard on aurait plutôt tendance à regarder sa montre en baillant discrètement.
Seulement, ce n’est pas parce que Tirard a amputé le Petit Nicolas que les médias se montrent circonspects – mais parce qu’il en a encore laissé trop. Pour les journalistes français – toujours à l’affut de la bête immonde et des moindres relents réacs-moisis, ce film est suspect. Le Petit Nicolas ne parle pas en verlan, ne rappe pas, ne porte pas un jogging à capuche (l’uniforme universel des « victimes » de la société), il n’est pas noir et même pas arabe. Autant de choix insupportables pour les chiens de garde de l’orthodoxie morale. Ce qui les gêne n’est pas tant l’impossibilité de rendre sur grand écran l’œuvre de Goscinny/Sempé que l’inadaptation supposée de cette imagerie vintage des années 1950/60, à notre merveilleuse modernité. Pas assez de diversité ! Pas assez de femmes libérées ! Pas assez de hip hop ! Pas assez de Bégaudeau ! Pas assez d’Entre les murs ! Pas assez d’angélisme et de nouvelle pédagogie ! Pas assez de Djamel Debbouze !
Mais lisons plutôt ce que les critiques, guidés par leur amour immodéré de la modernité, et leur haine intransigeante de l’histoire, écrivent en 2009.
Guillaume Loison, chef de cette armée de vigilants qui signe dans la feuille branchée Chronic’Art n’y va pas par quatre chemins : ce « traquenard mou » fait de Laurent Tirard « le plus grand cinéaste balladurien des dix prochaines années »… on sent poindre, sous la critique du goitre balladurien, l’accusation de pétainisme latent. On tremble. Brrrr. Nicolas Azalbert, caporal de la seconde armée du « réseau citoyen pour la modernité », dénonce dans les Cahiers du Cinéma un film « Cajoline (où tout sent bon et tout est doux) », qui prône, « à l’instar de son homonyme un discours douteux »… l’homonyme est évidemment Nicolas Sarkozy, appelé parfois par dérision « le petit Nicolas ». L’univers de Goscinny/Sempé, et surtout sa ré-actualisation par le cinéma, seraient outrageusement politiques, et singulièrement marqués à droite.
Marie Sauvion, cantinière générale de la troisième division blindée de lutte contre la France moisie, dénonce – dans les pages du Parisien – un film « dangereux ». Vigilante en diable, la petite Marie hurle dans la radio militaire : « Des costumes aux décors, impeccablement années 1950, en passant par le casting, réussi, tout est tiré à quatre épingles, beau comme un chromo, propre comme un sou neuf. Une stylisation à la fois dépaysante et dangereuse, qui « muséifie » ce Petit Nicolas que rien ne vient décoiffer… » Eh oui, pantalon à pinces et raie bien à droite, le terrible Nicolas est quelque peu décalé par rapport à la génération casquettes-baskets… Mais si cela faisait tout son charme ?
La deuxième classe Cécile Desffontaines, supplétive dans le 2ème régiment de chasseurs parachutistes de protection des acquis de la jeunesse, s’interroge gravement dans Télé Obs : « La génération i-Pod appréciera-t-elle la naïveté surannée du petit Nicolas et de ses copains ? »… C’est l’angoisse… et si la génération I-pod ne supportait plus que le visionnage des programmes de MTV ?
Le soldat anonyme, sous-officier de réserve dans l’armée vendéenne de défense de la citoyenneté diverse, s’indigne, dans Ouest France, de ce que « les protagonistes naviguent dans une France de carte postale »… une triste photo, couleurs sépia, d’une France d’avant où il n’y avait pas l’eau et le gaz à tous les étages, ni la télévision couleur. Ni les « fiertés » en tout genre. Ni l’esprit « cool » des décennies suivantes. Ni le progressisme humaniste parfaitement comique qui en découla…
On pourra s’en étonner : l’une des critiques les plus honnêtes a été publiée par Libération, sous la plume de Mathieu Lindon qui a compris que le film faisait des clins d’œil ludiques à une France de fantaisie, en réalité déjà désuète lors de la publication des albums de Goscinny et Sempé (dans les années 60), une France qui, en vérité, n’a jamais vraiment existé…
Inadapté au monde moderne, l’enfant de Sempé et Goscinny ? – il l’était déjà à sa naissance. Faut-il juger le Petit Nicolas à l’aune de Titeuf et des programmes de télé pour la jeunesse ? Faut-il rejeter la France gaullienne et fantasmée des enfants « petits princes », pour celle – moderne et sinistre – des « enfants rois » ? Les spectateurs jugeront. Et puis on peut rêver, par exemple que le battage promotionnel autour du film donnera à la sainte génération « I Pod » l’envie de lire les des albums originaux. Ses rejetons les plus futés découvriront peut-être que le classicisme old school déployé par Sempé et Goscinny n’est pas seulement le soubassement de centaines de gags, mais le ressort d’une poésie du quotidien qui a complètement déserté notre époque.
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