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Drapeaux en berne: la France en fait-elle trop?

Le regard libre d’Elisabeth Lévy


Drapeaux en berne: la France en fait-elle trop?
Image d'archives © NICOLAS MESSYASZ/SIPA

La décision du gouvernement français d’autoriser samedi prochain la mise en berne des drapeaux pour la mort du Pape fait grincer quelques dents, des voix estimant que cela contrevient au principe de laïcité. Alors que les conservateurs et les croyants sont évidemment ravis… La France, souvent qualifiée de « fille aînée de l’Église », devrait-elle adopter une neutralité plus stricte envers toutes les religions, sans exception ?


Accusée d’être une « laïcarde » par des conservateurs, Elisabeth Lévy précise sa position. On n’est pas laïcard parce qu’on questionne les drapeaux en berne pour le Pape ! Oui : la laïcité est à géométrie parfois variable et c’est pour cela qu’il est intéressant d’en discuter sans s’écharper. Nous vous proposons d’écouter son intervention.


Les drapeaux seront en berne samedi à l’occasion des obsèques du Pape François et cela déplait à certains. Avait-on besoin de cette petite polémique ? Pourquoi « petite » ? J’en ai marre qu’on disqualifie toute discussion autour de sujets parfaitement légitimes et intéressants. Ce qui rend le débat public ennuyeux, c’est précisément qu’on prétende faire taire les divergences. Le conflit, c’est la vie et c’est l’esprit des Lumières.

La laïcité française en berne ?

La laïcité française est une singularité souvent mal comprise à l’étranger, un élément important de notre identité, donc un sujet de débat légitime – il n’y a rien de petit là-dedans. De plus, on le voit tous les jours, la laïcité est en débat permanent en France, donc sujet à interprétations.

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On n’est pas laïcard ou laïciste parce qu’on questionne l’opportunité des drapeaux en berne. Lors de la mort de Jean-Paul II, François Bayrou, fervent catholique, y était opposé. Je ne lui fais pas de procès : le Premier ministre a bien le droit d’avoir changé d’avis. Alexis Corbière (LFI) n’a pas insulté le Pape ni les catholiques : il trouve normal que le président de la République lui rende hommage, mais les drapeaux c’est un peu trop selon lui. Excusez-moi, mais je suis un peu d’accord.

« Je suis en total désaccord, car la laïcité a des principes. Il est normal que le chef de l’Etat ait rendu hommage au pape. Mais nous n’avons pas à marquer une forme de laïcité à géométrie variable, c’est-à-dire que quand une autorité religieuse meurt, on met des drapeaux en berne, mais on ne le fait pas pour d’autres cultes » a déclaré le député d’extrème gauche Alexis Corbière au micro de France info le 22 avril. DR.

De là à nier que la France est un pays de tradition et de culture catholique… Certainement pas !

Le christianisme – et le catholicisme  – est évidemment l’une des premières sources, sans doute la première, de notre identité. Le catholicisme irrigue l’art, les paysages et l’esprit français. Mais aussi probablement notre façon de manger, ou notre rapport à l’argent. Voilà pourquoi comme culture et pas comme culte, il doit avoir une certaine préséance dans notre pays. C’est par exemple bien normal qu’en France Pâques ou Noël soient fériés et pas Kippour ou l’Aïd. Cette reconnaissance de l’histoire me va très bien.

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Mais un pays de tradition catholique n’est pas un pays catholique. Certains de mes amis catholiques regardent avec envie l’Amérique, son président qui jure sur la Bible et son actuel vice-président catho de choc J.D. Vance. Navrée, mais je préfère la séparation à la française qui est plus stricte. Entre Dieu et César, la partie n’est pas égale : s’agissant des affaires de la cité, c’est César qui décide. Et on a même le droit de se moquer de lui ! L’esprit de la laïcité (pas la loi), c’est tout de même une certaine discrétion. Dans l’espace public, on ne la ramène pas avec ses croyances. On ne prie pas au milieu de la rue. Souvenons-nous que quand de Gaulle allait à la messe en tant que président de la République, il ne communiait pas alors qu’il était pourtant également un fervent catholique.

Notre « petit » débat sur les drapeaux est intéressant car la laïcité n’est donc pas une science exacte. C’est une question de curseur. Les crèches dans les mairies ne me posent aucun problème (c’est une tradition, une culture, et je traiterais peut-être à mon tour de laïcards ceux qui semblent obsédés par leur présence chaque année). La mention de nos racines chrétiennes, c’est très bien. Mais les drapeaux, c’est l’expression de la France officielle. Et je ne vois vraiment pas pourquoi on les met en berne pour François, il n’y a aucune raison. D’autant plus que, comme chef d’Etat, François n’était pas un grand ami de la France.


Cette chronique a été diffusée sur Sud Radio.

Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Jean-Jacques Bourdin



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Fondatrice et directrice de la rédaction de Causeur. Journaliste, elle est chroniqueuse sur CNews, Sud Radio... Auparavant, Elisabeth Lévy a notamment collaboré à Marianne, au Figaro Magazine, à France Culture et aux émissions de télévision de Franz-Olivier Giesbert (France 2). Elle est l’auteur de plusieurs essais, dont le dernier "Les rien-pensants" (Cerf), est sorti en 2017.

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