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Antisionisme, antisémitisme: la haine caméléon

Critiquer Israël est à la mode. Comprendre ce pays, beaucoup moins


Antisionisme, antisémitisme: la haine caméléon
Des Israéliens participent à une manifestation exigeant la libération immédiate des otages détenus par le Hamas dans la bande de Gaza, à Tel Aviv, le samedi 29 mars 2025 © Maya Alleruzzo/AP/SIPA

Israël dérange — et c’est précisément pour ça qu’il faut le défendre. Pendant que des régimes autoritaires massacrent en silence, l’opinion mondiale réserve ses cris d’orfraie à un seul pays : Israël. Pourquoi cette obsession sélective ? Pourquoi ce procès permanent intenté à une démocratie entourée d’ennemis ?


Pourquoi défendre Israël envers et contre tout ?

Depuis l’extermination systématique des Juifs pendant la Seconde Guerre mondiale, ce qu’on appelle la Shoah, il est devenu inacceptable, du moins en Europe, de s’afficher ouvertement antisémite. La mémoire de cette tragédie et la prise de conscience des horreurs vécues par le peuple juif ont conduit à une prise de position forte contre l’antisémitisme. L’antiracisme, devenu une idéologie dominante au sein de nos sociétés, a absorbé la persécution des Juifs dans sa définition du racisme, établissant ainsi des frontières sur ce qu’il est permis ou non de dire et d’écrire sur ce sujet.

De l’antisémite au “simple” antisioniste

Cependant, l’antisémitisme, une idéologie ancienne et insidieuse, a toujours su se transformer et s’adapter aux nouvelles réalités sociales et politiques. Tandis qu’il feint de rendre hommage aux victimes juives de la Shoah à travers des discours mémoriels, il transpose ses anciens préjugés antijuifs sur l’État d’Israël et ce qu’il appelle « sa politique » envers les Palestiniens. Il s’agit là d’une évolution subtile, où le Juif n’est plus l’objet principal de la haine, mais l’État juif lui-même, dans une inversion du rôle joué par le peuple juif tout au long de l’histoire.

L’antisémite traditionnel a toujours prétendu que sa haine des Juifs n’était pas gratuite, mais qu’elle était justifiée par le comportement qu’il leur attribuait. Pendant le Moyen Âge, les Juifs étaient perçus comme les déicides et les usuriers, accusés de répandre la peste. Aux temps modernes, on les qualifiait à la fois de capitalistes exploiteurs et de bolcheviks responsables de la déstabilisation sociale et des révolutions sanglantes.

Tel Aviv, Israël, 19 janvier 2025 © Ariel Schalit/AP/SIPA

Aujourd’hui, dans une réécriture subtile mais pernicieuse de cette haine, ce sont les actions de l’État d’Israël qui deviennent l’élément déclencheur de cette même animosité.

Israël est ainsi présenté comme un État colonialiste, pratiquant l’apartheid, voire le génocide à l’égard de la population palestinienne. Cette image de l’État juif envoie un message similaire à celui des accusations de crimes rituels portées contre les Juifs au Moyen Âge. De manière significative, ce n’est pas une politique particulière menée par un gouvernement israélien qui est remise en cause, mais l’État d’Israël dans sa globalité. Ce type de discours essentialise l’État juif, une caractéristique typique de l’antisémitisme, en le réduisant à un stéréotype figé, tout comme on réduisait autrefois le Juif à un simple archétype négatif.

On parle alors « d’Israël » de la même manière qu’on parlait autrefois « du Juif ». Ce qui est reproché à Israël, ce sont des accusations de domination mondiale, de meurtres d’innocents, d’hostilité envers les non-Juifs — ou « goyim » — considérés comme des êtres inférieurs et exploitables. Cette idéologie a même des racines profondes dans les journaux nazis, comme le Völkischer Beobachter, qui désignaient les Juifs comme un peuple « génocidaire » (Völkermörder).

Israël : coupable de se défendre

Ainsi, en ce qui concerne Israël et les Juifs, tout est permis. Le discours antisioniste, qui se veut en apparence une critique légitime de l’État juif, finit souvent par appeler à l’éradication de ce dernier. Ce qui est perçu comme un acte de défense par Israël, dans un environnement constamment hostile, devient alors une preuve de son sectarisme et de son militarisme. Ses mesures de sécurité, comme les check-points, la militarisation de ses citoyens et ses services secrets, sont décrites comme des indices de son hostilité à l’égard de toute population non juive.

Il est également important de souligner qu’il ne manque pas de Juifs ou d’Israéliens qui, d’une manière ou d’une autre, remettent en question l’existence même de l’État d’Israël ou qui minimisent sa situation d’insécurité existentielle, souvent en glorifiant ses ennemis, qualifiés de « résistance ». Ce ne sont pas mes origines juives qui me conduisent à défendre Israël, mais ma recherche éperdue de la réalité. Je suis avant tout guidé par la vérité, par un désir profond de comprendre les faits dans leur complexité et de défendre ce qui est juste. La réalité historique, politique et sécuritaire d’Israël ne peut être réduite à des jugements partiaux ou à une rhétorique simpliste.

Certaines de ces voix vont parfois jusqu’à glorifier les groupes ou les mouvements considérés par Israël et par une grande partie de la communauté internationale comme des organisations terroristes, les qualifiant de « résistance » face à l’occupation israélienne. Ce terme de « résistance », en soi, pourrait être compris comme une forme de lutte contre l’injustice ou l’oppression. Toutefois, dans le contexte israélo-palestinien, il est souvent employé pour légitimer des actions violentes qui visent à détruire l’État d’Israël. Cette glorification peut être perçue comme une forme de révisionnisme historique, qui masque la réalité des actes terroristes, des attentats-suicides, des roquettes tirées sur des civils israéliens, et des attaques systématiques contre la population juive.

En outre, certains critiques internes d’Israël vont jusqu’à exagérer les actions de défense de l’État, leur prêtant des intentions malveillantes ou immorales. Ce faisant, ils ignorent ou minimisent souvent la réalité d’un Israël qui vit sous une menace constante d’anéantissement, un État entouré de pays qui ont, à diverses reprises, cherché à détruire ses habitants. La défense d’Israël n’est pas motivée par une volonté d’oppression, mais par la nécessité de survivre dans un environnement hostile. Pourtant, dans certaines analyses critiques, ces actions de défense sont parfois perçues non pas comme une réponse proportionnée à des menaces réelles, mais comme des manifestations de violence gratuite, alimentant ainsi le cercle vicieux de la haine.

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Apartheid, vraiment ?

En évoquant l’apartheid, on oublie volontairement que 20 % d’Arabes, qu’ils soient musulmans ou chrétiens, bénéficient de la citoyenneté israélienne et de tous les droits qui en découlent. Lorsque cette réalité est mise en lumière, les détracteurs d’Israël se réfugient alors dans la question des « territoires occupés » — notamment la Cisjordanie — oubliant les défis sécuritaires auxquels Israël fait face depuis sa guerre contre la Jordanie en 1967. La propagande antisioniste s’attarde sur les actions violentes de quelques colons extrémistes, mais néglige les nombreux efforts du gouvernement israélien pour maintenir la sécurité de ses citoyens dans une région où la violence est omniprésente.

Il est aussi crucial de souligner que l’injustice faite aux Arabes de Palestine en 1948, bien que douloureuse, s’inscrit dans un contexte de déplacement de populations qui n’est pas unique à ce seul événement. Le XXe siècle a été le témoin de nombreux déplacements massifs de populations à travers le monde, que ce soit les Juifs des pays arabes, les Grecs d’Anatolie, les Allemands de Prusse orientale, ou encore les Indiens et les musulmans durant la partition du sous-continent indien. Ces déplacements ont été marqués par des souffrances incommensurables, mais ils ne doivent pas être instrumentalisés pour justifier une haine persistante à l’égard de l’un des acteurs impliqués. L’histoire des déplacements de populations, bien qu’indéniablement tragique, doit être traitée avec nuance, sans chercher à en faire un prétexte pour l’intensification de conflits actuels.

Il est important de souligner que les critiques à l’égard d’Israël peuvent être légitimes et justifiées, notamment lorsqu’elles sont formulées avec objectivité et une véritable volonté de comprendre les contextes historiques et contemporains. Toutefois, ces critiques, lorsqu’elles sont superficielles ou malveillantes, ignorent ou, trop souvent, cherchent délibérément à ignorer les conditions uniques qui ont conduit à la naissance de l’État d’Israël. L’idée de transformer un mouvement national, comme ceux qui ont émergé dans le monde arabe ou en Europe au siècle dernier, en un mouvement colonialiste est une manipulation intellectuelle qui déforme l’histoire. Le sionisme, comme les mouvements nationalistes arabes ou européens, était un appel à l’autodétermination, à la création d’un État pour un peuple qui avait été persécuté, dépossédé et rejeté pendant des siècles. Cette volonté de création d’un État souverain ne peut être comparée au colonialisme, qui impose une domination étrangère et exploite des peuples sans droit à l’autodétermination. Le sionisme, au contraire, a été un mouvement pour un retour à la patrie, un projet de rédemption pour un peuple qui, à l’instar de tant d’autres dans le monde, cherchait à s’épanouir dans son propre pays.

Le rejet de la souveraineté juive : la vraie racine du conflit

Le fait de critiquer Israël sur la base d’une telle distorsion historique ignore une réalité fondamentalement importante : l’histoire du peuple juif, marquée par l’exil et la persécution, fait que la naissance de l’État d’Israël est bien plus qu’un simple « acte colonial », elle est une réponse à des siècles d’injustices et de souffrances. Ceux qui jugent Israël sans cette compréhension fondamentale contribuent à entretenir une vision déformée et injuste de ce pays. Les déplacements de populations qui ont eu lieu lors de la création de l’État d’Israël, bien qu’ils aient été tragiques, ne diffèrent en rien d’autres événements historiques de même nature qui ont été largement acceptés et compris par la communauté internationale, comme les déplacements massifs de populations dans d’autres régions du monde au XXe siècle.

La véritable cause du conflit entre Israël et les Palestiniens, ainsi qu’avec une grande partie du monde arabe et musulman, réside dans un rejet persistant et systématique de la souveraineté d’un État juif, un refus qui dépasse les simples questions de politique ou de territoire pour toucher à une dimension identitaire et religieuse. Ce rejet de l’existence même d’Israël en tant qu’État souverain et légitime reflète un conflit plus profond, ancré dans des siècles d’antagonisme culturel et religieux. Ce n’est pas seulement un différend sur des lignes de frontière, mais un combat idéologique contre l’idée même que le peuple juif puisse disposer de sa propre nation, libre et indépendante, au cœur du Moyen-Orient. Ce refus a engendré des violences répétées, des guerres et une instabilité chronique, alimentant une haine qui trouve sa racine dans un désir de nier à Israël son droit le plus fondamental : celui d’exister en tant qu’État, comme n’importe quelle autre nation, libre de ses choix et de ses actions. Ce rejet de la souveraineté d’un État juif est aujourd’hui alimenté par la propagande islamiste ainsi que par une certaine gauche radicale et décoloniale adoptant une posture « wokiste ». Cette intention génocidaire (« jeter les Juifs à la mer » disait le fondateur des Frères Musulmans Hassan Al-Banna en 1947, « égorger les Juifs » proclamait la chanteuse Oum Kalthoum en 1967…) s’est trouvée masquée par le récit victimaire qui domine aujourd’hui le narratif du conflit. C’est ainsi que les avertissements de Mossab Hassan Youssef, fils d’un fondateur du Hamas, décrivant le fanatisme meurtrier de la société palestinienne, semblent avoir moins de poids dans le débat public en France que la propagande mensongère de Rima Hassan qui glorifie l’organisation terroriste en la présentant comme réaction « légitime » des opprimés.

Rima Hassan venue soutenir le blocage de Sciences-Po à Paris, 26 avril 2024 © Lyam Bourrouilhou/SIPA

Si l’État d’Israël, comme tout autre État, présente des imperfections, cela ne justifie en rien la campagne visant à le réduire à un paria de la scène internationale. Nous sommes là face à une tentative manifeste de délégitimer un pays qui, après des siècles de persécution, a enfin trouvé une terre où il peut exercer son droit à l’autodétermination. Israël, malgré ses faiblesses, ses erreurs et ses dilemmes politiques — comme n’importe quel autre État démocratique — a droit à l’existence. Il n’est pas question de faire d’Israël « le juif des nations », ce pays condamné à l’errance et à la soumission éternelle, sous prétexte de ses défauts, réels ou perçus. Le peuple juif a souffert trop longtemps pour se voir à nouveau privé de son droit à la sécurité, à l’autodétermination, et à la légitimité.

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Israël doit être reconnu pour ce qu’il est

Chaque nation a ses imperfections. Chaque nation a ses travers. Mais l’État juif, au-delà de ses imperfections, est une réponse à des siècles de persécution, à un génocide qui a failli anéantir le peuple juif. Israël, dans sa quête de sécurité, dans sa nécessité de défendre ses frontières contre un environnement hostile, ne doit pas être condamné pour ses erreurs ou ses stratégies de survie. L’idée de faire de lui un « État paria » est une insulte à son existence même, et surtout une injustice historique.

Il n’est pas question d’absoudre Israël de toutes ses actions ni de fermer les yeux sur ses fautes. Mais il est inacceptable que, dans le cadre d’une politique internationale, on impose à l’État d’Israël un double standard. Au moment où des régimes dictatoriaux, des théocraties et des autocrates répandent la terreur et l’oppression dans le monde, Israël doit pouvoir exister comme tout autre pays, sans être condamné systématiquement pour chaque erreur, chaque décision difficile qu’il prend en raison de sa situation de survie.

L’injustice du passé, et l’injustice actuelle de l’antisémitisme déguisé en antisionisme, ne justifient en aucun cas la persécution continue de l’État d’Israël. Israël ne doit pas être considéré comme le bouc émissaire de tous les problèmes mondiaux, ni comme la cible d’une critique incessante et injuste. Il est grand temps que la communauté internationale cesse de le traiter comme un État paria et le reconnaisse pleinement pour ce qu’il est : un État souverain, né d’une longue histoire de persécution et d’exil, qui a le droit inaliénable de protéger son peuple, ses frontières et sa sécurité. Il est essentiel que le monde comprenne que les décisions prises par Israël en matière de défense et de sécurité sont motivées par la nécessité de préserver la vie de ses citoyens dans un environnement où de nombreux voisins ont cherché à détruire cet État depuis sa création. Refuser de reconnaître ce droit à la légitime défense et à l’autodétermination, en appliquant des standards déloyaux et en imposant des critiques infondées, revient à nier à Israël son existence même, et à ignorer les réalités géopolitiques complexes auxquelles il fait face chaque jour.



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Essayiste et fondateur d'une approche et d'une école de psychologie politique clinique, " la Thérapie sociale", exercée en France et dans de nombreux pays en prévention ou en réconciliation de violences individuelles et collectives.

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