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Soudan: entre conflit militaire et recomposition de l’identité nationale

L'avenir du Soudan est toujours incertain


Soudan: entre conflit militaire et recomposition de l’identité nationale
Des soldats arrivent au marché d'Allafah, dans une zone récemment reprise par l'armée soudanaise au groupe paramilitaire des Forces de Soutien Rapide, dans le district d'Al Kalalah, au sud de Khartoum, Soudan, 27 mars 2025 © /AP/SIPA

Depuis deux ans, la guerre civile fait des ravages au Soudan. Les forces armées islamiques, piliers de l’armée soudanaise, qui tentent d’imposer leur pouvoir dans le pays, s’opposent aux forces laïques qui luttent pour refonder le Soudan autour d’un « gouvernement de paix et d’unité ».


Depuis avril 2023, le Soudan est en proie à un conflit dévastateur opposant l’armée soudanaise, dirigée par le général Abdel Fattah al-Burhan, et les Forces de Soutien Rapide (FSR), sous le commandement de Mohamed Hamdan Dagalo, dit « Hemedti ».

À la mi-avril 2025, le conflit au Soudan entre les Forces armées soudanaises d’al Burhan (FAS) et les FSR, commandées par Hemedti, demeure sans issue décisive. Les FAS ont récemment repris le contrôle de Khartoum, y compris le palais présidentiel et l’aéroport, marquant une victoire symbolique et stratégique importante. Cette avancée renforce leur légitimité politique et leur permet de préparer des offensives vers l’ouest du pays. Cependant, les FSR conservent une emprise significative sur la région du Darfour, où elles ont récemment annoncé la formation d’un gouvernement parallèle, le « Gouvernement de paix et d’unité », consolidant leur autorité sur les zones qu’elles contrôlent. Malgré des pertes territoriales, elles maintiennent leur influence grâce à des alliances locales et un soutien extérieur.

Au-delà des affrontements militaires, c’est une lutte idéologique et politique qui se joue entre deux courants majeurs : le mouvement islamiste, pilier de l’armée soudanaise depuis des décennies, et les forces civiles et laïques, qui voient dans les FSR un allié inattendu pour remodeler l’avenir du pays. À l’heure où les combats redessinent les rapports de force, le Soudan se trouve à un tournant décisif : renouer avec un régime islamiste aux ambitions hégémoniques ou amorcer une transition vers un État civil, tourné vers l’avenir et libéré du poids des conflits passés.

Le mouvement islamiste : une domination marquée par les crises

Acteur central du paysage politique soudanais depuis le coup d’État de 1989 ayant porté Omar el-Béchir au pouvoir avec le soutien du Front islamique national, le mouvement islamiste n’a cessé d’imposer son influence sur l’État et la société. Loin d’être un simple changement de régime, ce coup d’État a marqué le début d’un projet politico-idéologique visant à instaurer une vision islamiste rigoriste dans un pays pourtant marqué par sa diversité ethnique et culturelle, plongeant le Soudan dans une série de conflits et de crises profondes.

Dans les années 1990, Human Rights Watch a documenté de vastes campagnes de répression contre les opposants, incluant détentions arbitraires et tortures, entraînant le déplacement forcé de centaines de milliers de personnes à l’intérieur du pays et à l’étranger. Dans la région du Darfour, les forces gouvernementales, soutenues par le mouvement islamiste, ont perpétré des exactions d’une ampleur inédite. En 2004, l’ONU a qualifié de « génocide » les violences commises, qui ont fait plus de 300 000 morts et environ 2,5 millions de déplacés.

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Aujourd’hui encore, l’armée soudanaise demeure sous l’emprise du mouvement islamiste, qui continue de dicter ses choix stratégiques. Selon une analyse du International Crisis Group publiée en 2023, l’armée ne se contente plus d’être une institution militaire : elle est devenue un levier politique clé pour les islamistes dans leur quête de reconquête du pouvoir perdu après la révolution de 2019. Ce positionnement s’est traduit par un rejet catégorique de toute solution négociée au conflit, y compris lors des pourparlers de Djeddah en 2023, où Abdel Fattah al-Burhan a conditionné tout accord à un renforcement du rôle de l’armée, d’après des documents de médiation saoudo-américains.

Milices islamistes : des exactions à motivation ethnique et religieuse

Dans la guerre actuelle, plusieurs groupes armés affiliés au mouvement islamiste se sont illustrés par des violences systématiques. Parmi eux, la Brigade Al-Baraa Ibn Malik et la Katibat Al-Zil (Brigade de l’Ombre) se sont engagées aux côtés de l’armée dans des combats contre les FSR. Mais au-delà du front militaire, ces factions ont été impliquées dans des massacres et des persécutions ciblées.

Un rapport de l’ONU publié en janvier 2025 documente des exécutions de civils sur des bases ethniques et religieuses, notamment dans la capitale Khartoum et au Darfour occidental. En octobre 2024, Amnesty International a révélé que ces milices avaient mené des attaques de grande ampleur contre les membres de la tribu Massalit, provoquant des centaines de morts et poussant des dizaines de milliers de réfugiés à fuir vers le Tchad voisin.

Leur discours témoigne d’une radicalisation assumée. En novembre 2024, lors d’une allocution télévisée, un commandant de la Brigade Al-Baraa a déclaré que « la bataille ne se limite pas aux FSR, mais vise également tous ceux qui rejettent l’État islamique ». Une déclaration qui confirme que ce conflit dépasse la simple lutte pour le pouvoir et s’inscrit dans une volonté d’imposer un ordre religieux par la force.

Forces de Soutien Rapide et opposition civile : une alliance stratégique ?

Face à cet expansionnisme islamiste, les Forces de Soutien Rapide se positionnent désormais comme un acteur politique à part entière. Ancienne milice Janjawid, responsable d’exactions au Darfour avant d’être institutionnalisée en 2013, les FSR cherchent aujourd’hui à se distancer de leur passé controversé.

Dans une vidéo diffusée en février 2025, Mohamed Hamdan Dagalo (Hemedti) a affirmé vouloir « bâtir un Soudan laïc respectueux de la diversité, en coopération avec les forces civiles ». Une prise de position qualifiée de « tournant stratégique » par Foreign Policy en mars 2025, qui analyse cette déclaration comme une tentative des FSR de se repositionner sur l’échiquier politique en tant qu’alternative au pouvoir militaire islamiste.

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Dans ce contexte, des organisations civiles, regroupées au sein de la Coordination des Forces Démocratiques Civiles (Taqaddum), voient dans les FSR un contrepoids potentiellement efficace à l’emprise islamiste. En janvier 2025, Taqaddum a publié un communiqué affirmant que « le Soudan a besoin d’un État civil garantissant l’égalité des droits et libéré de l’emprise religieuse ». Cette convergence des intérêts marque un tournant dans la dynamique du conflit.

Un pays à la croisée des chemins

Le Soudan est aujourd’hui confronté à une alternative cruciale : soit un retour du mouvement islamiste par l’intermédiaire de l’armée, avec le risque d’un prolongement des cycles de répression et de conflits ethniques, soit une transition vers un modèle politique inédit, porté par les forces civiles avec le soutien des FSR.

Dans un rapport publié en février 2025, le International Crisis Group souligne que « cette guerre ne se limite pas à une lutte pour le pouvoir, mais reflète un combat pour l’identité future du Soudan ».

Crise humanitaire et intensification des violences à Khartoum

Parallèlement, la situation humanitaire atteint des proportions alarmantes. Un rapport de l’ONU publié en mars 2025 fait état de plus de 14 millions de déplacés et de 26 millions de personnes en situation d’insécurité alimentaire aiguë.

À Khartoum, les combats ont connu une intensification majeure, notamment avec des bombardements aveugles menés par l’armée. Selon Human Rights Watch, des frappes aériennes en février 2025 ont détruit plusieurs quartiers résidentiels, provoquant la mort de centaines de civils. En parallèle, des pillages systématiques ont été perpétrés par des milices alliées à l’armée, aggravant les souffrances de la population.

Une communauté internationale sous pression, mais sans solution concrète

Malgré la gravité de la situation, la réponse internationale reste limitée. En septembre 2023, le département du Trésor américain a sanctionné Abdel Fattah al-Burhan, mais ces mesures n’ont pas suffi à infléchir la dynamique du conflit.

Tandis que le Soudan oscille entre héritage autoritaire et aspirations au changement, l’issue du conflit demeure incertaine. Si les forces civiles espèrent amorcer une transformation démocratique, l’absence de consensus national et la persistance des rivalités militaires rendent toute solution pacifique encore difficile à envisager.

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Souad Sbai est une ancienne députée italienne d’origine marocaine, active dans la lutte contre les injustices faites aux femmes issues de l’immigration.

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