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L’Arcom, ou lard de la com’ en France

Arcomédie française...


L’Arcom, ou lard de la com’ en France
© Yassine Mahjoub/SIPA

Liberté d’expression. Parce que l’extrème gauche l’appelle à toujours davantage sanctionner des figures médiatiques comme Cyril Hanouna – tandis que Jordan Bardella a dû dans le même temps passer par la justice pour défendre la promotion de son livre! – l’Arcom est accusée de censure. En comparaison avec les États-Unis, où la liberté d’expression reste sacrée, notre contributeur critique une régulation française jugée idéologique, sélective et contre-productive.


Ce sont rarement les réponses qui apportent la vérité, mais l’enchaînement des questions.
Daniel Pennac (La Fée carabine).

Plus de censure, ni sur les films ni dans les prisons ! 
Valéry Gisgard d’Estaing, le 27 août 1974.


La France n’est pas la Corée du Nord, mais elle est friande de ces mesures attentatoires à la liberté d’expression.

D’abord la loi Gayssot, réprimant le négationnisme des crimes nazis.

L’article 434-25 du code pénal punit l’insolent qui « cherché à jeter le discrédit (…) dans des conditions de nature à porter atteinte à l’autorité de la justice ou à son indépendance ».

L’art. 421-2-5 du Code pénal vise l’apologie du terrorisme.

Sans oublier les lois portant sur les discours haineux….

Les conférenciers se voient trop souvent interdits de meeting sous le fallacieux prétexte de « menace à l’ordre public », constat conjectural a priori fondé  sur leurs antécédents, plus ou moins authentifiés et souvent tronqués, alors que, en réalité, la menace provient plutôt des perturbateurs qui veulent les museler. En toute logique, il faut éviter de « préjuger » l’orateur, qui doit être, de prime abord, toujours libre de s’exprimer et, si ses déclarations vont au-delà des limites permises, la justice peut alors intervenir et sanctionner, mais a posteriori. Cependant, il faut compter avec la logique juridique française…

L’Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (Arcom) est chargée notamment de déterminer s’il y a manquement aux obligations en matière de pluralisme et d’honnêteté dans la présentation des informations. Rien que ça. Elle est donc censée veiller à l’observation des lois suivantes : la loi du 24 juin 2020 visant à lutter contre les contenus haineux sur internet; la loi du 24 août 2021 confortant le respect des principes de la République; et la plus belle, la plus orwellienne : la loi contre la manipulation de l’information de 2018.

Etat de droit : Ferrand au sommet, Hanouna au bûcher !

Selon une décision du Conseil d’Etat, le régulateur doit veiller, sur « les sujets prêtant à controverse », au « respect de l’obligation d’assurer l’expression des différents points de vue ». Pour juger d’un éventuel « déséquilibre manifeste et durable » dans le traitement du sujet, il devra s’appuyer sur un faisceau d’indices – la diversité des intervenants, des thématiques et des points de vue exprimés, sur les antennes. Texto. Une formule aussi simple qu’une recette de cuisine. L’enfance de lard.

L’actualité donne de la brioche sur la planche de l’Arcom. Voici quelques affaires dont elle vient d’être saisie.

CNews et Europe 1 n’auraient pas « traité l’affaire [de la condamnation de Marine Le Pen] avec mesure, rigueur et honnêteté », « la présentation des différentes thèses en présence » n’aurait pas été assurée.

A lire aussi: Marine Le Pen, victime du «coup d’Etat» des juges

Dans le cadre d’une discussion concernant la notion de consentement dans la définition pénale du viol adoptée deux jours auparavant par l’Assemblée nationalePascal Praud affirmait sur CNews que « beaucoup de femmes qui n’ont pas eu la chance d’être regardées par les hommes […] nourrissent parfois contre eux un sentiment de revanche ». Mathilde Panot et Sarah Legrain sont horrifiées.

https://twitter.com/S_Legrain/status/1908127706102812895

Aymeric Caron fulmine car Yoann Usai a déclaré mardi 8 avril sur CNews que « les juifs n’ont pas d’importance à LFI… pour La France insoumise, les otages israéliens peuvent crever dans la bande de Gaza parce que ce sont des juifs ».

« CNews a muté en organe de propagande officiel de l’extrême droite », s’étrangle le député LFI Aurélien Saintoul.

Aux Etats-Unis, on ne blague pas avec la liberté d’expression, mais…

« Comparer, c’est comprendre » disait Claude Lévi-Strauss. Et quel contraste avec les Etats-Unis, où, le droit, noir sur blanc, ne plaisante pas avec la liberté d’expression.

Cela n’exclut malheureusement pas, sur le terrain, une tradition de harcèlement des contestataires de la part des hargneuses autorités politiques que nourrit un climat d’hystérie : notons les « Palmer Raids »  dans une atmosphère de « peur rouge » et d’attentats anarchistes, qui aboutirent à l’expulsion de militants de gauche en 1919 et 1920; le McCarthisme des années 1950 et le mouvement de défense des droits civiques, où s’illustra le directeur du KGB… rectification, du FBI, J. Edgar Hoover. Le président Trump n’a donc pas réinventé la roue en reprenant le flambeau aujourd’hui contre les humanistes qui ne peuvent pas rester complètement de marbre face au vécu (si l’on peut dire) des Palestiniens, avec peut-être une énergie accrue.

Il a ouvert en priorité la chasse aux non-Américains « simplement »  titulaires d’une carte verte de résident permanent, ou, pire, d’un encore plus « simple » visa d’étudiant. (Pour mémoire, John Lennon subit l’ire du président Nixon en raison de son hostilité publique envers la guerre au Vietnam et il dut batailler devant les tribunaux pour obtenir sa carte verte). Les citoyens américains, eux ne sont évidemment pas attaqués frontalement… pour l’instant (mais pensons à l’ex-champion du monde d’échecs Bobby Fischer, qui fut inculpé, mensongèrement, de violation de l’embargo frappant l’ex-Yougoslavie en 1992, et qui finit ses jours en exil en Islande); à ce stade, ils font « simplement » l’objet de mesures d’intimidation sournoises : par exemple, plusieurs cabinets d’avocats ayant participé aux enquêtes visant Sa majesté orange ont dû accepter des offres qu’ils ne pouvaient pas refuser de la part d’une administration vengeresse.

Cela dit, vu la position traditionnelle des juridictions américaines, ces lois françaises, anti voltairiennes, sont impensables car elles ne résisteraient pas plus de cinq minutes à l’examen.

(Incidemment, l’infraction de « common law » équivalente à l’article 434-25 du code pénal français, dite « scandalizing the court » [les lecteurs auront traduit d’eux-même], n’a plus cours que dans les pays du tiers-monde n’ayant pas encore atteint un niveau de civilisation démocratique).

A fortiori, le concept même d’une Arcom américaine relèverait de l’hérésie et provoquerait des fous rires chez les étudiants en deuxième année de droit.

De façon générale, ces lois de circonstances, adoptées à chaud, sous le coup de l’émotion, parfois bien intentionnées, ne sont qu’un mirage : elles sont trop souvent sélectives; pire, elles sont facilement instrumentalisables (les lois sur les discours de haine constituent un arsenal particulièrement prisé des groupes de pression religieux) et surtout contreproductives car elles font des martyrs et leur servent de caisses de résonnance. Par contraste, les délires des négationnistes américains (oui, il y an a) tombent toujours à plat, car ils ne bénéficient pas de l’effet publicitaire de lois liberticides.

Fatwahs de vérité

Comment soutenir, sans rire, qu’il revient à des fonctionnaires français, tout augustes et bien intentionnés fussent-ils, de prononcer des fatwahs de vérité ? Encore que l’on pourrait peut-être s’y résigner s’ils ne disposaient pas du glaive de la sanction. Mais comme le démontre la jurisprudence de l’Arcom, elle dispose d’un troublant pouvoir de censure de la presse d’opinion si elle est audio-visuelle : est particulièrrement sinistre la récente suppression de C8. Une consolation : cette excommunication est devenue, comme il se doit, un argument de vente pour Cyril Hanouna, auquel il faut souhaiter bonne chance avec son passage à M6 annoncé, encore qu’il a dû payer le prix d’une équipe réduite.

Chaque média doit demeurer libre de s’exprimer exclusivement selon son propre point de vue et même selon sa propre idéologie, sans faire dans la dentelle : il peut instruire un thème à charge, et/ou à décharge et opter pour la provocation. Il est hallucinant de lui imposer le rôle d’organisateur de débats et assurer un chimérique équilibre des thèses en son sein. Au final, l’équilibre résulte de la juxtaposition des thèses présentées par différents médias concurrents. C’est au citoyen/contribuable/justiciable lambda qu’il incombe de tirer ses propres conclusions après avoir effectué les recoupements pertinents à partir des innombrables sources, y compris judiciaires, accessibles au grand public, qu’il est libre de consulter et de soupeser. Ou pas.

Les seules limites voltairiennes sont celle de la diffamation visant des personnes précises et celle définie par la jurisprudence américaine : le « danger manifeste et imminent » (« clear and present danger » en v.o.). Sinon, tous les coups (même de gueule) sont permis et de bonne guerre.

A lire aussi: L’Arcom, « autorité indépendante », mais de qui ?

Mais même en France, il y a quelques lueurs d’espoir en matière de liberté d’expression.

Saluons d’abord le jugement de simple bon sens (une denrée trop rare) rendu le 9 avril dernier par le tribunal des activités économiques de Paris : la régie publicitaire ferroviaire MediaTransports avait refusé la campagne d’affichage du livre de Jordan Bardella, Ce que je cherche, et elle est condamnée pour « inexécution fautive du contrat » de diffusion publicitaire pour le livre du président du Rassemblement national.

Par ailleurs, la députée européenne (et authentique française) Rima Hassan, a pu tenir sa conférence sur la Palestine à l’université de Rennes 2 le 10 avril dernier. Les canidés avaient aboyé, mais la caravane est finalement passée sereinement.

Les glapissements d’indignation des députés LFI Aymeric Caron, Mathilde Panot, Sarah Legrain et Aurélien Saintoul font partie du débat. Le téléspectateur appréciera. Souverainement.

Cela dit, quel affligeant spectacle que ces élus se blottissant dans les jupons de maman Arcom pour lui faire part de leurs doléances, qui ne sont que pleurnicheries bien franchouillardes.

L’Arcom est-elle soluble dans l’alcool?

PS. Livre incontournable (non traduit): Defending My Enemy: American Nazis in Skokie, Illinois, and the Risks of Freedom (1979 de Arieh Neier (Défendre mon ennemi : les Nazis américains à Skokie (Illinois), et les risques de la liberté, en v.f.).

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