« Paris est la seule ville du monde où coule un fleuve encadré par deux rangées de livres », dixit Blaise Cendrars. Causeur peut y dénicher quelques pépites…
Il est des métiers oubliés et des noms inconnus. Qui se souvient de la profession de sténodactylo et qui a déjà entendu parler de Fernande Choisel ? Cette femme qui n’a rédigé que ses mémoires a pourtant écrit – tapé – des centaines de livres et de pièces de théâtre. Elle qui, enfant, a vu la tour Eiffel « monter boulon après boulon » se lance, jeune femme, dans la sténographie – ce langage des signes manuscrit qui permet de noter à la vitesse de la parole. En 1897, cette pionnière du genre voit d’un mauvais œil l’arrivée de la machine à écrire, même si celle-ci symbolise ses « idées d’avant-garde », car ce « véritable bloc d’acier, compliqué d’une foule de ressorts qui sautent à chaque frappe et d’un clavier de soixante-quinze touches » transforme ses déplacements « en véritables expéditions ». Et ses déplacements sont quotidiens : employée de l’agence de M. Compère, elle est envoyée, au gré des demandes, chez Robert de Flers, Edmond Rostand, Francis de Croisset, Gaston Leroux, Tristan Bernard… pour dactylographier leurs manuscrits ou écrire sous leur dictée.
Au printemps 1916, Fernande est demandée au théâtre des Bouffes-Parisiens. Elle est conduite dans la loge de Sacha Guitry qui lui donne quelques feuillets à mettre au propre. Elle découvre le personnage : un esprit en ébullition qui passe dans la même conversation d’un projet à un autre avant de revenir au précédent tout en décochant un galant compliment à la première dame venue et en essayant un nouveau costume, une nouvelle perruque, un nouveau maquillage… une nouvelle réplique. Un tourbillon toujours nimbé des volutes de cigarettes qu’il fume à longueur de journée.
Elle ignore alors que cette rencontre va changer sa vie.
À lire aussi, Alain Paucard : La boîte du bouquiniste « Patrouille du conte », de Pierre Gripari (1983)
Satisfait de son travail appliqué, de sa minutie et de son caractère, discret et attentif, Guitry l’engage à son service exclusif à la fin des années 1920. Elle fait son entrée dans la célèbre maison de l’avenue Élisée-Reclus et devient immédiatement bien plus qu’une secrétaire : une confidente essentielle, une intendante générale.
Le « Patron » est un bourreau de travail, écrit pièce sur pièce et enchaîne les scénarios de cinéma tout en étant sur scène chaque soir, mène grand train, reçoit beaucoup, roule en Cadillac blasonnée, collectionne frénétiquement tableaux et objets d’art, et, surtout, a besoin de vivre avec une femme. Il en aura cinq, toutes comédiennes : Charlotte Lysès, Yvonne Printemps, Jacqueline Delubac, Geneviève de Séréville et Lana Marconi – celle qui « fermera mes yeux et ouvrira mes tiroirs ». Fernande est aussi la confidente de chacune d’elles, vie privée et vie publique étant indissociables chez Guitry.
Cette âme dévouée se double d’une belle plume. Les pages qu’elle consacre au déménagement qu’elle fait des trésors du maître, et de ses liasses de billets, à travers la France durant l’Exode sont savoureuses. Elle est aussi la mieux placée pour constater l’aigreur qui le ronge à la Libération, après deux mois de prison. Il a changé. Cette injustice le rend injuste envers cette complice omniprésente depuis près de vingt ans. Les crises se multiplient, elle tente de tenir puis n’en peut plus et claque la porte avec amertume en 1948.
Rideau.
SACHA GUITRY INTIME SOUVENIR DE SA SECRETAIRE FERNANDE CHOISEL
Price: 48,80 €
2 used & new available from
