Éthique. Les débats sur la « fin de vie » reprennent ce mardi à l’Assemblée nationale. Le Premier ministre François Bayrou a scindé le texte initial en deux volets distincts. Les conservateurs soulignent que la légalisation de l’euthanasie constitue un enjeu de civilisation, marquant selon eux un basculement anthropologique majeur. Ils redoutent que la proposition de loi sur les soins palliatifs ne réponde pas suffisamment aux besoins réels du pays, tandis que celle relative à l’aide à mourir dépasserait largement les engagements pris par Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle. Le regard d’Elisabeth Lévy.
Alors que la loi sur l’euthanasie sera examinée à partir du 12 mai, j’écoute ceux qui doutent. La légèreté anthropologique de certains défenseurs de cette loi est effrayante. Planqués derrière quelques slogans comme « mourir dans la dignité », ils renvoient tout opposant dans les cordes de la réaction. Ils brandissent des cas personnels réellement bouleversants pour empêcher de réfléchir. Que répondre à quelqu’un qui implore la société de mettre fin à son calvaire ?
Je n’ai pas de religion concernant cette question. La mort doit peut-être échapper à la loi. C’est une question douloureuse, difficile, et qui ne devrait pas être une cause militante qu’on se jette à la tête. Sur Le Figaro TV[1], l’écrivain Michel Houellebecq parle d’une espèce d’arrogance progressiste qui revient à balayer toute la sagesse et les pensées antérieures. Voilà pourquoi il faut écouter ceux qui doutent plutôt que les marchands de certitudes. Houellebecq distingue l’euthanasie du suicide assisté où la société fournit le poison mais ne l’administre pas (Entre 1/3 et 50% des gens ne l’utilisent pas une fois qu’on leur a remis, d’ailleurs). Sa grande inquiétude, c’est que les malades et les vieux se sentent de trop. « Par des siècles de condition difficile, on a été dressé à l’impératif de ne pas être à charge. Mais ce n’est pas une envie de mourir. »
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Houellebecq n’est pas un spécialiste du sujet, répliquera-t-on.
D’abord, toute personne qui réfléchit à notre civilisation peut être un spécialiste. Ensuite écoutons aussi les vrais spécialistes. Écoutons donc Théo Boer, professeur d’éthique aux Pays-Bas, pays pionnier dans le domaine, qui signait hier une tribune dans Le Monde[2] : « J’ai cru qu’un cadre rigoureux pouvait prévenir les dérives de l’euthanasie: je n’en suis plus si sûr ». Son texte m’a bouleversée. Tout le monde devrait le lire. Il n’y a pas d’idéologie. M. Boer part du réel. Que nous dit-il ? En 2024, son pays a enregistré une hausse de 10% des euthanasies. Désormais, cela représente près de 6% des décès en Hollande. Où on observe par ailleurs l’émergence de l’euthanasie à deux (108 décès en 2024). Pire : l’euthanasie pour troubles psychiatriques a augmenté de + 59 %. Souvenons-nous de cette jeune Belge de 18 ans, traumatisée par les attentats, qui avait obtenu le droit d’être tuée. Des patients physiquement en bonne santé, mais souffrant mentalement demandent et obtiennent donc désormais de mourir.

Et cela continue. Car le Parlement hollandais examinera bientôt une loi accordant le suicide assisté à toute personne âgée de 74 ans, même bien-portante… En somme : vous avez fait votre temps, on vous débranche ! Cela commence à faire peur. Bien sûr, il faut prendre en compte la souffrance des malades en phase terminale. Le développement des soins palliatifs est donc fondamental. Mais l’extension permanente du domaine de la mort assistée crée un risque que les malades ressentent une pression pour en finir. Il s’agit d’inscrire dans la loi le droit, voire le devoir de tuer. On a le droit voire le devoir de douter.
Retrouvez Elisabeth Lévy dans la matinale de Sud Radio au micro de Jean-Jacques Bourdin
[1] https://www.lefigaro.fr/vox/societe/il-n-y-a-aucun-besoin-d-etre-un-catho-reac-pour-etre-contre-l-euthanasie-michel-houellebecq-debat-de-la-fin-de-vie-au-figaro-20250406
[2] https://www.lemonde.fr/idees/article/2025/04/07/theo-boer-professeur-d-ethique-neerlandais-j-ai-cru-qu-un-cadre-rigoureux-pouvait-prevenir-les-derives-de-l-euthanasie-je-n-en-suis-plus-si-sur_6592197_3232.html
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