Déjà, en son temps, Baudelaire expliquait bien dans Le spleen de Paris, l’horreur festiviste des fins d’année : « C’était l’explosion du nouvel an : chaos de boue et de neige, traversé de mille carrosses, étincelant de joujoux et de bonbons, grouillant de cupidités et de désespoirs, délire officiel d’une grande ville fait pour troubler le cerveau du solitaire le plus fort. »
Il y a pourtant un moyen simple d’échapper à tout ça. S’enfermer avec quelques polars qui ont le mérite de ne pas briller par leurs bons sentiments et qui, on le sait depuis Gide, ne font pas la bonne littérature.
Simenon nouvelliste
Il y a vingt-cinq ans, Georges Simenon disparaissait. Les Presses de la Cité, son éditeur historique avec Gallimard et Fayard, rééditent pour l’occasion en deux volumes, toutes les nouvelles policières de Simenon sauf celle ayant Maigret pour personnage, avec une substantielle préface de Jean-Baptiste Baronian, le spécialiste le plus avisé de l’oeuvre. L’ensemble va de 1929 à 1953 et permet de (re)découvrir d’autres personnages récurrents simenoniens. On retrouvera ainsi les quatorze nouvelles des Dossiers de l’Agence 0 avec Torrence à sa tête dont Simenon nous apprend qu’il est un ancien de la PJ et le collaborateur préféré d’un certain Maigret. Mais il faudra compter aussi avec l’humanisme souriant des enquêtes du Petit docteur ou celles de G7 dans les Treize énigmes qui sont parues entre 29 et 32 dans Détective, journal à gros tirage qui savait réunir des signatures prestigieuses comme Carco, Cocteau et Morand et qui lança vraiment Simenon. Si Maigret vous manque, cependant, vous pouvez trouver chez le même éditeur en un fort volume six enquêtes de Maigret dont la très hitchcockiennes Menaces de Mort, le tout superbement illustrée par Loustal qui s’impose de plus en plus comme le dessinateur le plus à même de rendre compte d’une manière à la fois distanciée, poétique et précise ce qui fait la magie Simenon. Pour les mordus, on conseillera vivement de se procurer le numéro 28 des Cahiers Simenon, consacré sous le titre « Vous avez dit luxurieux ? » à l’érotisme bien particulier dans l’œuvre de l’écrivain francophone le plus traduit au monde
Nouvelles secrètes et policières de Simenon (Omnibus)
Six enquêtes de Maigret, de Simenon et illustrées par Loustal (Omnibus)
Cahiers Simenon N°28 (Les Amis de Georges Simenon , Bruxelles)
Les durs à cuire
La génération qui a succédé, aux USA, aux pères fondateurs que furent Chandler et Hammett (dont on peut lire en version bilingue Le sac de Couffignal qui vient de paraître chez Folio) compte quelques grands noms de la littérature américaine et parmi eux James Cain et Jim Thompson. James Cain, vous savez, c’est l’auteur du Facteur sonne toujours deux fois. Autant dire un gars qui s’y connaît en matière de femme fatale troussée dans la moiteur d’une cuisine de station-service californienne. Le génie de Cain, il a été célébré très tôt, dès les années 30 et par quelqu’un dont on n’associe pourtant pas du tout le nom à cette littérature, en l’occurrence Irène Némirovsky. Préfaçant la première édition française du Facteur sonne toujours deux fois, elle définissait sans même le savoir ce qui fonde l’esthétique du roman noir : « Comme toujours, lorsque la manière d’écrire est parfaitement adaptée au sujet et aux personnages mis en scène, de cet accord, de cette mystérieuse harmonie, naît une sorte de poésie : la poésie des meilleurs films américains. » Quant à Albert Camus, il a reconnu explicitement l’influence de Cain sur L’étranger…
C’est pour cela que nous ne bouderons pas notre plaisir avec Bloody Cocktail, un roman inédit en France de James Cain qui vient de paraître à l’Archipel. Bloody Cocktail a été retrouvé il y a une dizaine d’années à peine dans les archives de l’auteur et il a été écrit et réécrit dans les dernières années de la vie de Cain qui meurt en 1977. On y retrouve ses thèmes classiques comme pour un ultime feu d’artifice avant sa disparition : une mythologie où le goût pour le fric, l’appétit de sexe et la propension à la violence renvoie à un tableau inversé de l’Amérique heureuse de l’époque Eisenhower. On signalera en plus, que dans ce Bloody Cocktail, c’est la femme fatale qui est la narratrice ce qui change radicalement la perspective.
On pourra compléter ce retour vers l’âge d’or du roman noir par la réédition très réussie d’un roman de Jim Thompson, A Hell of a woman, (Une femme d’enfer) à la façon des pulps. Les pulps étaient ces magazines bon marché consacrés à la littérature de genre dès les années 20 et qui tiraient à des millions d’exemplaires. On retrouve dans ce bel objet, tous les quatre ou cinq chapitres, une couverture de genre pulp due à Thomas Ott qui, dans un style très crumbien, parsème également d’illustrations ce roman racontant comme souvent chez Thompson, à la première personne, la descente aux enfers d’un psychopathe terrifiant .
Le sac de Couffignal de Dashiell Hammet (Folio bilingue)
Bloody Cocktail de James M. Cain (L’Archipel)
A hell of a woman de Jim Thompson, illustré par Thomas Ott
Le charme discret de la novella
L’édition anglo-saxonne, qui est pragmatique distingue la nouvelle (short story), le roman (novel) mais aussi un format intermédiaire, la novella. Et c’est une bonne idée de la part des éditions Ombres noires de nous en faire découvrir de récentes comme ce Prière d’achever de John Connolly. Un homme ordinaire, ancien employé municipal, Berger, qui peut vivre de ses rentes dans un petit village anglais à la mort de sa mère n’a qu’une seule passion, les livres. Un soir, il croit assister au suicide d’une femme qui se jette sous un train. Mais la police ne retrouve pas de corps. Berger passe plus ou moins pour un dingue jusqu’au moment où il s’aperçoit en relisant Anna Karénine que le suicide qu’il a cru voir a exactement obéi au scénario du roman. À la limite du fantastique, Prière d’achever est aussi une ode paradoxale à ce vice impuni et dangereux, la lecture.
Prière d’achever de John Connolly (Ombres noires)
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