Les Très riches heures de la Télévision


Les Très riches heures de la Télévision

ormesson dumas monsoreau

À Noël, la programmation des chaînes atteindra des sommets d’ennui. Des pics de grande solitude comme chaque fin d’année. Emissions poussives, artistes en perpétuelle promotion, animateurs en panne d’idées, d’audace, de talent tout simplement. Le petit écran nous fait l’effet d’un frigo en période de crise, il y a bien de la lumière à l’intérieur mais il reste désespérément vide. La télévision n’a pas toujours été cette glace sans tain. Transparente de notre côté, voyeuriste du sien. Il fut une époque où le mot « création » avait un sens dans cette lucarne éclairée. Les responsables de l’audiovisuel d’alors ne reculaient pas devant le romanesque. Ils prêtaient même un soupçon d’intelligence à leur public. La fresque historique déroulait sa folle dramaturgie (intrigues, complots et amours contrariés) après le dîner, devant la famille réunie au complet. Les gosses ne s’endormaient pas la tête farcie de pipoleries mais le cœur empli de chevalerie. Ces décideurs d’un autre temps n’avaient pas peur de plonger (en prime time) les foyers français dans les guerres de religion, la déliquescence de l’aristocratie ou les affres d’une jeune fille. Au mitan des années 80, ils ont été remplacés par des comptables qui faisaient des rêves de ménagères, le caddie rempli d’écrans pubs. À la trappe les sagas de notre littérature !

Un conseil, durant les fêtes, laissez refroidir votre poste et préférez (re)voir quelques trésors de notre patrimoine télévisuel. En décembre 1971, souvenez-vous, La Dame de Monsoreau d’après l’œuvre d’Alexandre Dumas faisait son apparition dans nos salons. Une version restaurée vient juste de ressortir en DVD, un cadeau idéal sous le sapin de 2014. Sept épisodes, soit près de 6 h 30 d’aventures, de coups bas et de luttes d’influence entre le clan d’Henri III (Denis Manuel) et de son frère, le Duc d’Anjou (Gérard Berner) sous l’œil impitoyable de Catherine de Médicis. Vous avouerez que ces passes d’armes du XVIème siècle ont quand même une autre allure, une autre ampleur que la petitesse de nos combats politiciens actuels. Michel Creton y était phénoménal dans le rôle de Chicot, bouffon irrévérencieux, magistral tacticien de la cour, narguant ouvertement les « mignons » et manœuvrant dans l’ombre, à la survie de son roi. Plaisir des mots, d’une langue aussi tranchante que l’épée, dans une série télé inoubliable. Et puis, comment résister à cette idylle impossible entre Diane de Méridor (Karin Petersen), épouse du Comte de Monsoreau et Bussy d’Amboise (Nicolas Silberg), un couple d’acteurs tout en finesse et retenue. La distribution se déguste à chaque instant, quel bonheur de retrouver François Maistre incarnant le redoutable Comte avant de devenir l’emblématique Commissaire Faivre des Brigades du Tigre ou encore Marco Perrin (disparu en février de cette année) dans l’habit d’Henri de Navarre avant qu’il n’endosse le costume du VRP fanfaron dans les gauloiseries de Joël Séria. Six ans plus tard, en 1977, les français partageront durant 9 heures d’antenne les joies et chagrins du Duc Sosthène de Plessis-Vaudreuil interprété par Jacques Dumesnil.

En adaptant Au Plaisir de Dieu, le roman de Jean d’Ormesson paru en 1974, TF1 réussit à passionner des millions de téléspectateurs qui découvrent que la vie de château n’est pas de tout repos. De 1906 à 1968, notre histoire défile sous le regard croisé du patriarche et de sa nombreuse progéniture. Chute irrémédiable de la noblesse, montée de la bourgeoisie, transformations sociales, techniques, révolutions sexuelles s’enchaînent au cours de ce turbulent XXème siècle. Au fil des saisons, les passions contradictoires de notre pays prennent racine dans le parc de Saint Fargeau (lieu principal du tournage). Ce miracle de télé doit être absolument revu et savouré comme un puissant élixir de nostalgie. Et quand la télé ne s’emparait pas de l’Histoire de France, elle racontait les immuables relations parents/enfants. Fin 1982, L’Esprit de famille adapté du best-seller de Janine Boissard s’installe pour 7 épisodes à l’antenne. On y rencontre le docteur Moreau (Maurice Biraud) qui élève avec son épouse, quatre filles aux caractères électriques : la princesse, la cavalière, la poison et l’écrivain en herbe, Pauline, émouvante Véronique Delbourg, découverte dans A nous les petites anglaises. Avec beaucoup d’acuité, sans mièvrerie, cette série à succès évoque l’entrée tumultueuse d’une fille dans l’âge adulte. Ses complexes ont une portée aussi universelle que le déclin de Sosthène ou la pureté de Diane.

La Dame de Monsoreau – Adaptation et dialogues Claude Brulé – Réalisation Yannick Andréi – Version restaurée – Koba Films.

Au Plaisir de Dieu – réalisé par Robert Mazoyer – Collection Mémoire de la télévision – Koba Films.

L’Esprit de famille – réalisé par Roland Bernard – Collection Mémoire de la télévision – Koba Films.



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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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