Alors que Noël, comme chaque année, apporte son lot de films certifiés jeune public, une étude publiée en début de semaine par le British Medical Journal fait grand bruit sur le sujet.
Les dessins animés seraient plus violents que les films pour adultes ? Sale coup pour ceux qui croyaient naïvement qu’en laissant les minots devant un dessin animé, au moins, on ne risquait pas de les exposer à des images trop dures… Pourtant cette formulation, reprise dans de nombreux médias, est un peu succincte compte tenu des paradoxes et nuances que met en lumière l’étude fouillée du BMJ.
En préambule, les chercheurs rappellent que les médias d’image sont aujourd’hui les principaux pourvoyeurs de culture pour les enfants, qui consomment, entre 2 et 5 ans, 32 heures de médias visuels par semaine. 4 heures et demi par jour, ça laisse rêveur !
La première question est de savoir ce qu’on appelle violence. Qu’est ce qui est choquant pour un enfant –qui n’est d’ailleurs pas le même à 3, à 7 ou à 10 ans ? La représentation dessinée est-elle aussi agressive que la « réalité » filmée ? Quelques chiffres font état d’une présence récurrente de la mort –naturelle ou violente- dans les films destinés aux petits, plus importante même que dans les films auxquels ils ont été comparés pour les besoins de l’étude[1. Les meilleurs dessins animés de chaque année de 1937 à 2013 ont été comparés aux deux meilleurs films du box-office américain des mêmes années. Les films d’action et d’aventure ont été exclus.]. C’est ce qui donne cette conclusion un peu définitive selon laquelle les films d’animation seraient plus violents.
Dans La psychanalyse des contes de fées paru en 1976, Bruno Bettelheim, psychologue et pédagogue américain, expliquait le rôle des contes, souvent assez trash, dans la construction de la personnalité de l’enfant. Un monde peuplé de sorcières (Blanche neige, La belle au bois dormant), d’anthropophages (Hansel et Gretel), de pauvreté (La petite marchande d’allumettes, Le Petit Poucet), de pervers sexuels (Barbe bleue et Peau d’âne) de belles-mères acariâtres, de jalousie (Cendrillon)… Tout pareil que dans la vraie vie quoi ! Son propos était de montrer comment les contes répondent aux angoisses psychologiques des enfants en les informant sur les épreuves qu’ils auront à traverser et les efforts à accomplir pour passer de l’immaturité à la maturité. Une sorte de parcours initiatique par le récit et l’image.
Or une des épreuves que la vie leur réserve, entre autres joyeusetés, est la confrontation à la mort ou au moins à l’absence, à l’origine de nombreux troubles chez l’enfant. La mort touche jusqu’à 5 fois plus souvent un proche du héros dans les dessins animés que dans les films adultes. Parfois, elle est simplement évoquée, car dans les œuvres littéraires ou cinématographiques destinées aux enfants, l’absence de parents crée une intensité dramatique intéressante et laisse plus de marges de manœuvre aux héros ( Les orphelins Baudelaire, Les enfants de Timpelbach, etc.) .
Mais si cette exposition répétée à la représentation de la mort peut heurter les enfants, elle leur permet également de se familiariser avec cette réalité qui leur est souvent cachée par ailleurs. En effet, l’étude soulève le paradoxe qui existe entre le fait de faire de la mort un tabou, au point de peiner à la nommer avec des mots précis et d’autre part de laisser les enfants regarder cette mort à l’écran. Protégeant d’un coté, exposant de l’autre…
Il est établi qu’avant 7 ans, les enfants peuvent être traumatisés par des événements qu’ils ont vu dans un film, même irréalistes ou impossibles, et développer par la suite des stratégies d’évitement. Ainsi, le sort réservé à la mère de Némo par un barracuda pourra entraîner chez un tout petit : cauchemars, terreurs nocturnes et même appréhension de la mer. Cela indique également que le dessin animé, métaphorique même s’il est violent, permet aux enfants au-delà de 7 ans, qui ont la maturité cognitive pour les comprendre, d’appréhender certaines réalités avec moins d’angoisse que devant des images réalistes.
Les chercheurs concluent l’étude sur le constat que loin d’être une alternative aux films gores américains typiques, les dessins animés sont aussi vecteur de violence et de meurtres et que les parents seraient bien avisés de les regarder avec leurs enfants pour deux raisons. Pour pouvoir répondre à une charge émotionnelle potentiellement dévastatrice, d’abord. Pour prendre prétexte de ces images afin d’ aborder avec l’enfant les thèmes difficiles pour lesquels il a besoin d’un guide.
Il y aurait beaucoup à dire sur le système de classification des films. Quelques décennies au compteur ne sont pas toujours une garantie pour supporter la violence de films interdits aux moins de 16 ans… Après, chacun peut bien considérer que les 25 dernières minutes de Skyfall sont moins violentes que Blanche neige… ça se discute !
En l’occurrence, la véritable brutalité n’est-elle pas de prendre les écrans pour des nounous et de laisser l’enfant –a fortiori le bébé- seul face à des images qui le submergent ?
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