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La stratégie de la peur: la manipulation psychologique derrière le «kit d’urgence» de la Commission européenne

Quand la peur, instrumentalisée à outrance, devient une arme antidémocratique au service du pouvoir


La stratégie de la peur: la manipulation psychologique derrière le «kit d’urgence» de la Commission européenne
La Belge Hadja Lahbib, Commissaire européen, recommande un kit de survie de 72 heures pour chaque Européen. 26 mars 2025. Capture YouTube.

Derrière la bienveillance de façade de la Commission européenne se profilent une mécanique et une propagande inquiétantes: une stratégie de la peur orchestrée pour manipuler les consciences, renforcer le pouvoir en place, voire saper les fondements mêmes de la démocratie, estime notre contributeur. Tribune.


En mars 2025, la Commission européenne a lancé une initiative qui, sous des dehors pragmatiques, soulève des questions troublantes : elle appelle les États membres de l’Union européenne à encourager leurs populations à se doter d’un « kit d’urgence » pour faire face aux crises futures. Officiellement, cette mesure vise à préparer les citoyens à des scénarios catastrophes – guerres, pandémies, catastrophes climatiques – dans un monde jugé de plus en plus instable.

Mais, derrière cette apparente bienveillance se profile une mécanique bien plus inquiétante : une stratégie de la peur orchestrée pour manipuler les consciences, renforcer le pouvoir en place et saper les fondements mêmes de la démocratie.

La peur comme outil de contrôle

L’idée que la peur puisse être utilisée comme levier de manipulation de masse n’est pas nouvelle. Dès 1928, Edward Bernays, neveu de Sigmund Freud et pionnier des relations publiques, posait les bases de cette stratégie dans son ouvrage Propaganda : comment manipuler l’opinion en démocratie. Bernays y expliquait comment les gouvernants, en s’appuyant sur les ressorts psychologiques de la foule, pouvaient façonner les perceptions pour imposer des mesures autrement inacceptables. « La manipulation consciente et intelligente des opinions et des habitudes organisées des masses est un élément essentiel dans une société démocratique », écrivait-il, soulignant que la peur, en tant qu’émotion brute, était particulièrement efficace pour court-circuiter la raison.

Plus récemment, le sociologue Frank Furedi, dans son livre Politics of Fear (2005), a analysé comment les démocraties modernes exploitent les « cultures de la peur » pour légitimer leur autorité. Selon lui, les gouvernements amplifient délibérément les menaces – qu’il s’agisse de terrorisme, de pandémies ou de crises environnementales – pour maintenir les populations dans un état de dépendance émotionnelle. Cette dépendance, argue Furedi, conduit les citoyens à céder leurs libertés en échange d’une promesse de sécurité, un troc que Benjamin Franklin avait déjà dénoncé au XVIIIe siècle : « Ceux qui troquent leur liberté en échange d’une sécurité temporaire ne méritent ni l’une ni l’autre. »

Une communication anxiogène : au service du pouvoir ?

L’appel de la Commission européenne à constituer des kits d’urgence s’inscrit dans cette lignée. En surface, il s’agit d’une mesure de précaution qui pourrait sembler rationnelle : quelques vivres, une lampe de poche, une trousse de secours, des objets anodins pour affronter l’imprévu. Mais le sous-texte est clair : les crises futures ne sont pas une hypothèse, elles sont une certitude. Guerres, virus mortels, effondrement climatique, la rhétorique officielle ne précise pas la nature exacte de la menace même si elle est esquissée, laissant ainsi libre cours à l’imagination collective. Cette ambiguïté est une arme puissante : elle transforme une recommandation pratique en un message subliminal de peur diffuse, ancrant l’idée que le danger est imminent et omniprésent.

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Cette stratégie n’est pas sans rappeler la gestion de la crise du Covid-19. En 2021, dans un article publié sur The Conversation, le chercheur Maxime Gaborit notait que « la peur, dans ce cas-ci d’un virus inconnu, a été fondamentale » pour faire obéir les populations aux restrictions sanitaires. Les campagnes de communication, saturées d’images de lits d’hôpitaux débordés et de courbes exponentielles, ont joué sur l’émotion plutôt que sur la pédagogie. Le résultat ? Une adhésion massive, mais souvent irrationnelle, à des mesures parfois contestables, comme les confinements prolongés ou les passeports sanitaires. La Commission européenne semble aujourd’hui répliquer ce schéma, élargissant le spectre de la menace pour englober tous les possibles.

Quand la peur dope la popularité du pouvoir

Un aspect crucial de cette manipulation réside dans son effet sur la popularité des gouvernants. Les sondages le montrent depuis des décennies : lorsque les populations se sentent menacées, elles se tournent instinctivement vers le pouvoir en place, perçu comme un rempart contre le chaos. En France, par exemple, le président François Hollande a vu sa cote de popularité bondir après les attentats de 2015, passant de 13 % à 21 % en quelques semaines selon un sondage IFOP. De même, au plus fort de la crise du Covid-19, les dirigeants européens, y compris Emmanuel Macron, ont bénéficié d’un regain de confiance temporaire, malgré des gestions critiquées.

Ce phénomène, que le politologue Corey Robin appelle « la politique de la peur » dans son ouvrage Fear : The History of a Political Idea (2004), repose sur un mécanisme simple : la peur désoriente, fragilise et pousse les citoyens à chercher un sauveur. Les élites politiques, conscientes de cet effet, n’hésitent pas à l’exploiter. L’initiative du kit d’urgence est donc une tentative de maintenir les populations dans cet état de vigilance permanente, où le pouvoir apparaît comme le garant ultime de leur survie. En période de crise, les critiques s’effacent, les oppositions s’affaiblissent, et les mesures autoritaires passent plus facilement. Elle intervient d’ailleurs quelques jours seulement après l’allocution alarmante d’Emmanuel Macron pour préparer les Français à une éventuelle guerre face à la Russie, et qui lui a valu une hausse de popularité dans les sondages s’en suivant. Il ne faut pas voir un quelconque hasard ici.

Une peur fictive de l’extérieur face à une insécurité réelle à l’intérieur

Mais, pourquoi brandir une peur hypothétique venue de l’extérieur alors que l’insécurité au sein même des frontières est déjà une réalité criante ? En France, les statistiques récentes parlent d’elles-mêmes : en 2023, le ministère de l’Intérieur recensait 361 000 coups et blessures volontaires, une hausse de 63 % depuis 2017, tandis que les homicides dépassaient la barre des 1 000, en progression constante depuis 2020. Les violences sexuelles, avec une augmentation de 8 % en 2023, touchent 265 victimes par jour en moyenne, selon les données du SSMSI. Les cambriolages, les vols violents et les dégradations volontaires explosent également, avec des faits divers quotidiens qui alimentent une insécurité palpable. Cette peur-là n’a rien d’irrationnel : elle est ancrée dans le vécu des citoyens, étayée par des chiffres concrets et des drames bien réels. Pourtant, étrangement, cette menace intérieure, bien plus immédiate et tangible qu’une guerre hypothétique, ne bénéficie pas du même traitement alarmiste. Au contraire, elle est souvent minimisée, camouflée derrière des discours lénifiants ou des statistiques interprétées avec prudence, comme si reconnaître son ampleur fragiliserait davantage l’autorité en place. Alors que la peur d’un ennemi extérieur peut être orchestrée pour unir et soumettre, l’insécurité intérieure, elle, révèle les failles d’un système incapable de protéger ses citoyens – une vérité autrement plus dérangeante. Où sont les kits de l’Union européenne pour survivre à une agression ?

Une pratique antidémocratique

Ce recours systématique à la peur est profondément antidémocratique. La démocratie repose sur la délibération rationnelle, sur la capacité des citoyens à évaluer les politiques publiques avec discernement. Or, la peur court-circuite ce processus. Comme le souligne Ryszard Legutko dans Le diable dans la démocratie (2015), les gouvernements qui instrumentalisent les émotions pour asseoir leur légitimité trahissent l’idéal démocratique en remplaçant le débat par la soumission. En agitant des menaces vagues – guerres hypothétiques, virus incertains – sans jamais les contextualiser avec des données objectives, la Commission européenne prive les citoyens de leur libre-arbitre, les réduisant à des sujets passifs, manipulables à volonté.

A relire: Résilience et couteau suisse

Prenons l’exemple des discours sur une « guerre imminente ». Depuis l’invasion de l’Ukraine par la Russie en 2022, les responsables européens, dont Ursula von der Leyen et Emmanuel Macron, multiplient les mises en garde contre un conflit élargi. Le kit d’urgence s’inscrit dans ce narratif, suggérant que chaque foyer doit se préparer à l’impensable. Pourtant, aucune analyse sérieuse ne corrobore l’idée d’une guerre généralisée en Europe à court terme. Cette surenchère alimente des peurs irrationnelles, détournant l’attention d’autres enjeux – insécurité, immigration, crise sociale au sein même de nos frontières – au profit d’un narratif belliqueux qui renforce le contrôle étatique.

Dépasser le narratif officiel

La Commission européenne présente son initiative comme une réponse responsable à un monde incertain. Mais cette rhétorique cache une volonté de pouvoir. L’appel au kit d’urgence, s’il semble anodin, s’inscrit dans cette dynamique de politique de la peur : il normalise l’idée d’un état d’exception permanent, où les libertés individuelles sont subordonnées à une prétendue « résilience collective » imposée d’en haut.

Les essayistes comme Noam Chomsky, dans ses critiques récurrentes des médias et des gouvernements, nous invitent à interroger cette « fabrication du consentement ». Pourquoi cette insistance sur un hypothétique conflit extérieur alors que la plus forte insécurité perceptible des Français se répand à l’intérieur même de nos frontières sans qu’aucune initiative ne soit prise pour l’endiguer ? Parce que cette peur irrationnelle d’un ennemi commun maintient les citoyens dans un état de docilité, tandis que la raison les pousse à questionner. Le kit d’urgence n’est pas qu’un objet : c’est un symbole de cette soumission déguisée en prudence.

Vers une résistance à la manipulation

L’initiative de la Commission européenne, loin d’être une simple mesure pratique, révèle selon moi une stratégie de manipulation de masse rodée : amplifier les peurs, exploiter les émotions, consolider le pouvoir. En s’appuyant sur les travaux de Bernays, Furedi ou Robin, on comprend que cette « politique de la peur » n’a rien d’accidentelle. Elle détourne l’attention des problèmes concrets qui touchent notre pays pour prospérer sur les angoisses parfois irrationnelles des citoyens afin de mieux contrôler leurs émotions, au mépris des principes démocratiques.

Face à cela, la réponse ne peut être que la vigilance. Refuser de céder à la panique, exiger des explications claires, privilégier la réflexion sur l’émotion : tels sont les antidotes à cette manipulation. Car si la peur peut doper la popularité des gouvernants à court terme, elle finit toujours par se retourner contre eux lorsque les citoyens reprennent leurs esprits. Dans un monde gouverné par la peur, la liberté est la première victime.

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