« Il n’y a rien au-dessus de la beauté féminine asiatique. J’aime ces jambes légères qui auront toute ma vie six ou sept heures d’avance sur mon désir. » Voilà, c’est ce qu’on appelle du Besson. Direct, bien cadré, bien envoyé. Drôle. Et quand il se déplace, Patrick Besson, il pense ; il lui arrive même d’écrire. Alors, il nous le fait savoir. Pas tout de suite, pas sur le champ. Longtemps après. Voici Déplacements, un petit livre tissé de courts textes, de réflexions, d’aphorismes, de minuscules proses, de croquis. Une manière de carnet de voyages frais comme une citronnade dans la touffeur d’un été des sixties à Montreuil.
Ce Russo-Croate insaisissable voyage beaucoup. On le suit ici dans ses pérégrinations aux Etats-Unis, au Mexique, à Varsovie, à Marrakech, à Paris, à Saint-Amand-les-Eaux, la seule station thermale communiste du Nord de la France. On le retrouve en Belgique, à Téhéran, à Belgrade bien sûr. A Bangkok, où il est en train de lire Goethe et Thomas Mann, il constate que « la lecture » est « le seul plaisir solitaire qu’on ait l’occasion de pratiquer » dans cette ville. Pas mal. À Gand, il décrète : « La vie : rêve éveillé d’un mourant. » À Téhéran, il constate que son accompagnateur est « un Alain Paucard iranien : il me chante du Brel, du Joe Dassin, du Charles Aznavour et même du Charles Trenet. » Un peu plus loin, dans le même secteur, une préadolescente lui demande d’où il vient : « si longtemps que les enfants iraniens n’ont pas entendu une langue étrangère. Une fillette me fait de grands sourires. En Iran, j’ai la cote avec les moins de seize ans. Je pourrais devenir le Matzneff chiite. »
À Nice, il est émouvant, discrètement plus intime. On comprend mieux pourquoi, aujourd’hui encore, il y est toujours fourré. Il y parle de sa mère qui, après sa fuite de Croatie et son départ d’Italie, s’est installée dans cette ville : « J’ai des photos en noir et blanc d’elle sur la plage de galets : elle est en bikini et sourit comme je ne l’ai jamais vue sourire à Montreuil. Elle est encore brune. Elle deviendra blonde à Paris, comme Brigitte Bardot et Catherine Deneuve. » Et le voilà parti à s’imaginer fréquentant le lycée de Nice, condisciple de Georges-Marc Benamou, chahutant Cauwelaert, fondant avec eux une revue qu’il n’aurait pas baptisée Le Grand Jeu (comme Vailland, Daumal et Gilbert-Lecomte, à Reims) mais Globe…
Ses pages et ses notes sur Paris sont un régal. Il constate que l’amoureux de notre capitale fait peine à voir car il sait qu’il est impossible de coucher avec une ville. Il a beau sillonner les rues, « il n’en trouve pas une pour se mettre au lit avec lui ». Le découpage de sa vie en cafés est une friandise de littérature : la période Dôme (1982-1995), l’ère Closerie des Lilas (1995-2009) et l’époque Rotonde (2010-…). Un dix mille feuilles ; celles qu’il a dû y écrire. Et cette esquisse bessonienne de La Rotonde : « Son air ouvert comme un visage. Le rouge au front de ses banquettes. Ses nappes blanches de trattoria romaine du siècle dernier. » De la célèbre brasserie, Bove en eût fait un fusain ; Besson nous en donne une sanguine. Ce carnet de voyage est rempli d’exquises esquisses. Croquez dedans comme dans une pomme d’amour rouge sang. Ce sont là les sanguines d’un homme de cœur qui voudrait ne pas en avoir en arpentant les artères du monde.
Déplacements, Patrick Besson, Gallimard, coll. Le sentiment géographique.
*Photo : Daoud B.
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