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L’affaire de la rue du Bac

Le billet de Dominique Labarrière


L’affaire de la rue du Bac
Le journaliste et essayiste français Jean-François Revel, date inconnue © ANDANSON/SIPA

Dans une série d’articles un peu sordide et sur une « Une » publiées en juin 2024, le journal Libération avançait que l’Académicien Jean-François Revel (1924-2006) aurait fait partie d’une bande de pédocriminels. Mais aucune preuve solide n’est venue confirmer cette allégation depuis.


On dirait un titre à la Simenon. À ceci près qu’ici le sordide est encore plus oppressant, plus étouffant qu’il peut l’être dans les intrigues les plus noires, les plus glauques du père de Maigret. Nous sommes devant une de ces affaires de pédocriminalité qui soulèvent le cœur et révoltent l’esprit. Une de plus, direz-vous. Cette fois elle a pour décor les beaux quartiers et pour protagonistes de beaux esprits.

En juin dernier, le journal Libération sort une enquête fleuve en six volets, Les hommes de la rue du Bac[1]. L’existence d’un ancien réseau de pédocriminels ayant sévi à Paris, rive gauche, donc, notamment entre les années 1977 et 1980 y est révélée. Des personnalités connues de l’époque, appartenant à ce qu’on peut appeler l’intelligentsia, se seraient constituées en bande pour infliger à des enfants d’abominables sévices sexuels. Parmi ces enfants, Inès Chatin, la fille adoptive du docteur Jean-François Lemaire, médecin, chroniqueur de presse, au domicile duquel – 97 rue du Bac – ces prédateurs se retrouvaient. Des noms sont publiés. Celui du docteur Lemaire, bien sûr, qui apparaît comme l’organisateur, celui de l’écrivain Gabriel Maztneff, mais, beaucoup plus inattendus, ceux de Claude Imbert, fondateur et directeur du Point, et de Jean-François Revel, directeur de l’Express, philosophe, essayiste de renom et membre de l’Académie française. Figure également le nom d’un avocat, François Gibault, qui encore en vie aujourd’hui (92 ans) – contrairement à Revel et Imbert, tous deux décédés – a démenti toute implication dans ces horreurs et porté plainte pour diffamation et dénonciation calomnieuse à la suite de la publication des articles de Libération. Ce point est à souligner.

C’est sur la base du dossier qu’Ines Chatin a déposé auprès de l’OFMIN (Office mineurs), avec copie au journal, que celui-ci déroule son enquête.

Aujourd’hui âgée de cinquante ans, elle y révèle que dans son enfance, entre quatre et sept ans, de 1977 à 1980, elle subit de ces hommes des agressions sadiques et qu’elle a été régulièrement violée jusqu’en 1987. Elle a alors quatorze ans.

À l’appui de son témoignage, des documents : agendas, courriers, livres d’or du docteur Lemaire, le père adoptif, et surtout des enregistrements dans lesquels, à la fin de sa vie, celui-ci reconnaît les faits et, précise Libération, « mouille certains de ses amis à des degrés différents, surtout Gabriel Maztneff (…) et Claude Imbert. » Et dans une moindre mesure, l’avocat Gibault. Jean-François Revel quant à lui n’est nullement évoqué dans ces confessions. De plus, il n’apparaît pas dans le paysage Lemaire avant les années 1980, c’est-à-dire qu’on n’y trouve sa trace qu’après la période où les faits criminels ont été commis. Et encore, n’y figure-t-il, dans ce paysage, qu’à la manière d’une vague relation, en aucun cas comme un proche ou un intime. C’est ce que montre fort bien la contre-enquête de Martin Bernier publiée par le Figaro[2] le 11 mars.

À la lecture de ce rigoureux travail d’investigation on se demande ce que ce pauvre Revel vient faire dans cette galère. Ou plus exactement comment se fait-il qu’il se retrouve – et à une telle place ! – dans ces articles de Libération. La source en est une des affirmations de la plaignante, Ines Chatin. C’est donc la mémoire de cette petite fille de sept ans, mémoire différée de quelque quarante-trois années, qui seule fait référence, puisque, en réalité, aucun élément probant ne vient étayer l’accusation.

Les enfants de Jean-François Revel le déclarent eux-mêmes, avec une retenue et une bienveillance qui, d’ailleurs, les honorent : il n’est aucunement question de mettre en doute, si peu que ce soit, la sincérité du témoignage de la fille adoptive de Lemaire, non plus – bien évidemment – de nier sa douleur de victime. Dont acte.

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Nous savons bien, tous autant que nous sommes, que la mémoire se plaît à nous jouer des tours, que la confusion est un des plus fréquents. Confusion de lieux, de personnes, de dates, etc. De Revel, elle dit qu’il pesait lourd, qu’il « sentait mauvais et que même sous quarante masques et quarante capes (les monstres se déguisaient ainsi), elle le reconnaîtrait ». Alors, on en vient à aller chercher des témoignages de proches, par exemple de telle collaboratrice au quotidien et au long cours, pour savoir si l’intéressé sentait bon ou pas. « Il était propre comme un sou neuf » témoigne la collaboratrice… Être réduit à en appeler à l’odeur de sainteté, comme au temps des procédures obscurantistes de la chasse aux sorcières, pour tenter d’innocenter celui qui se retrouve cloué au pilori ! On se pince.

Il semble fort que Libération soit allé un peu vite en besogne sur le cas Revel dans cette affaire. Un peu vite et surtout un peu trop loin. Parmi d’autres rapprochements d’une pathétique indigence, la rédaction n’est-elle pas allée chercher dans la relative proximité de la tombe de ce dernier avec celle de la femme qui aurait facilité l’adoption d’Ines Chatin, un indice à charge ? Là aussi, on se pince. Cette ineptie a depuis été supprimée.

Et puis, il y a le nom Revel en une du journal, en bonnes grosses lettres rouges. Du propre aveu de l’un des auteurs des articles auprès de Nicolas Revel, le fils de Jean-François, ces auteurs eux-mêmes y étaient plutôt opposés. Mais « l’exercice de la une est collégial à Libé (…), s’est défendu le journaliste. Le nombre a parlé (…) L’idée qu’une « une » doit parler immédiatement à un lecteur passant devant un kiosque ou une gare l’a emporté. » Édifiant.

Affaire à suivre, cela dit, puisque la famille se déclare prête à saisir la justice sur le chef d’atteinte à la mémoire. En fait, Libération, qui adore donner des leçons de méthode journalistique et de déontologie à la profession entière, vient, avec ces articles, de nous en administrer une qui doit porter bien au-delà de la sphère médiatique : pour parer à toute éventualité, on doit s’efforcer autant qu’on peut de sentir bon et se montrer vigilant quant au voisinage qui sera le sien au cimetière.

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[1] https://www.liberation.fr/dossier/hommes-rue-du-bac/

[2] https://www.lefigaro.fr/vox/societe/affaire-pedocriminelle-de-la-rue-du-bac-contre-enquete-sur-l-accusation-visant-jean-francois-revel-20250311



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Ex-prof de philo, auteur, conférencier, chroniqueur. Dernière parution : « Les carnets d’Hitler - L’arnaque négationniste » éditions Scriptus.

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