Chic, on va enfin reparler de Stanislas ! Simon Liberati raconte ses années au fameux collège parisien, entre solitude, harcèlement et découverte d’une bourgeoisie catholique hypocrite, dans un récit précis et cruel…
Ce qu’il y a d’intéressant avec les bons écrivains, c’est qu’ils peuvent parler de tout, surtout d’eux, sans ennuyer. Simon Liberati – Prix Femina 2011 ; Prix Renaudot 2022 – évoque ses années passées à Stanislas, établissement scolaire prestigieux de Paris qui s’est retrouvé sous les feux de l’actualité après un numéro de « Complément d’Enquête », l’émission phare de France 2, particulièrement à charge.
Principale accusation : l’établissement de prestige, sous contrat avec l’État, ne pratiquerait pas la mixité sociale. Ajoutons à cela que la religion catholique y occuperait une place prépondérante. Un sanctuaire, donc, qui résisterait à la contamination woke. On a en effet dressé des bûchers idéologiques pour moins que cela.
Brebis égarée
L’établissement, situé dans les beaux quartiers de la capitale, a abrité derrière ses murs qui ont des oreilles mais qui se taisent de futurs responsables politiques – un président de la République – de puissants patrons de presse, des militaires sans guerre et quelques brebis égarées dont le jeune Simon Liberati. Ce dernier nous raconte son éducation pas sentimentale du tout à partir de son inscription comme externe en 11e bleu au collège Stan, inscription faite par un oncle mathématicien farfelu et une tante déjantée, sœur ainée de son père, toujours habillée comme une prostituée de la porte Saint-Denis. Mais si c’est à ce prix qu’on devient un écrivain iconoclaste, je ne vois pas pourquoi on renierait ses aïeuls renégats. Le jeune Simon, un introverti aux épaules étroites, devient le numéro 103. Perte d’identité immédiate. Ses camarades ne l’aiment pas ; ses profs non plus. C’est un garçon fragile avec des notes fragiles. En résumé, il est médiocre. Il va rester douze ans dans ce qu’il nomme ses « années de bagne ». Il ne passera pas le bac, renvoyé à la fin de la Première. Trop bagarreur ? Trop bad boy, tendance Charles Manson ? Rien de tout ça, juste que « Liboche », de plus en plus maltraité par ses condisciples, n’a pas le niveau pour être présenté à l’examen final. Alors exit l’adolescent. À Stan, on doit avoir cent pour cent de réussite. La réputation de l’établissement est à ce prix. Liberati résume : « C’est le collège qui est responsable de la pudeur haineuse que je garde à l’égard des principes moraux affichés et un goût de la provocation et du scandale qui m’a valu, à mon âge, de ne connaître ni la paix ni la reconnaissance de mes qualités de cœur. » Il ajoute : « Une inexorable solitude aussi qui m’a aidé bien des fois à surmonter les épreuves. » Il conclut, ce qui nous le rend décidément de plus en plus sympathique, livre après livre : « Je ne serai jamais, suivant la devise de Stan, un Français sans peur ni un chrétien sans reproche. » Surtout quand on sait que le portrait de Pétain trônait dans le bureau d’un responsable et que certains de ses condisciples « en imper vert et lunettes fumées » écrivaient sur le tableau « B. au four » en parlant d’un camarade de confession juive. C’est surtout dans les années 73/74 que l’extrême droite fit son apparition dans l’établissement. « En matière d’excentricité patronymique, révèle Liberati, j’avais deux Drieu la Rochelle, les neveux de l’auteur de Gilles, blonds, brosse courte, plutôt sympathiques (…) ». Ils voisinaient avec François-Xavier Bagnoud, fils de la productrice Albina du Boisrouvray, qui mourrait en pilotant l’hélicoptère de Daniel Balavoine lors du Paris-Dakar, le chanteur étant devenu la bête noire du pouvoir socialiste puisqu’il avait décidé de se présenter à la présidentielle. Quant à la note de Mai 68, elle ne fut guère entendue par les élèves de Stan protégés par les murs de la forteresse.
A relire, Emmanuel Domont: Simon Liberati, la fureur d’écrire
Ambiance carcérale
Liberati évoque également ses lectures qui l’aident à surmonter l’ambiance carcérale. Il apprécie Morand, Chardonne, Dickens. Il parle de Stephen Hecquet, élève à Stan, écrivain-avocat, mort en 1960 à quarante ans, au passé vaguement maréchaliste, qui a consacré un livre à l’établissement, Les Collégiens. Liberati cite un extrait de son meilleur ouvrage Les Guimbardes de Bordeaux où Stan est également décrit vers 1937. Le rôle d’un écrivain n’est-il pas d’extraire des limbes les auteurs dont les romans protègent ?
« Les coups, les humiliations, les infortunes sans cesse répétées » ont été surmontés par le numéro 103. Son œuvre l’atteste. Il signe ici une confession sans fard qui touche le lecteur. La force de l’écrivain est de pouvoir puiser dans son enfance, même si celle-ci à la couleur du châle des veuves de Corrèze.
À la fin du livre, Liberati se demande s’il ne serait pas un peu fou. « À deux reprises, écrit-il, ces dix dernières années, j’ai dit la vérité à deux femmes. La première fut Eva, jusqu’à ce qu’elle devienne vraiment insupportable et dangereuse. La seconde vit près de moi à l’heure où j’écris. » Il poursuit : « J’ai passé beaucoup du reste de ma vie à mentir aux femmes, aux amis, aux éditeurs. Je ne suis pas mythomane car je me suis arrangé pour que ma vie soit aussi amusante et romanesque que possible, je suis lâche et léger. » Qu’il se rassure : les écrivains ont le droit d’être des mythomanes.
Simon Liberati, Stanislas, Grasset. 224 pages
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