François Bayrou a annoncé fin février qu’il allait lancer des « conventions citoyennes décentralisées » pour débattre de la question : « Qu’est-ce qu’être français ? » Alain Bentolila lui répond.
La question posée par François Bayrou est nécessaire. Elle risque cependant de susciter des réponses hétéroclites, principalement nourries de stéréotypes historiques, de souvenirs musicaux et de goûts culinaires, qui appartiennent bien sûr à notre imaginaire national. Plutôt que de tenter de dresser une liste sans fin dans laquelle Roland de Roncevaux le disputerait au cassoulet, et Édith Piaf à Victor Hugo, je préfère tenter de fonder notre identité nationale sur la capacité de chaque citoyen d’établir une claire hiérarchie entre : les valeurs universelles, les propriétés nationales, et les appartenances culturelles, confessionnelles et ethniques. J’insiste sur le terme « hiérarchie » ; il signifie pour moi que, dans l’esprit du citoyen français, les valeurs universelles doivent l’emporter sur les spécificités nationales et que les fondements historiques, culturels et linguistique français s’imposent aux marques d’appartenance communautaires. C’est ainsi que le principe universel selon lequel les peuples doivent disposer d’eux-mêmes, expose la colonisation à une juste critique. De même, le principe de laïcité français s’oppose à toute dérive sectaire des religions.
Culture et identité
Le fait que l’on appartienne, par un hasard heureux ou non, à un groupe qui partage certaines croyances, certaines habitudes culturelles, certains comportements et des histoires communes, ne doit en aucune façon effacer la singularité intellectuelle de chaque citoyen français. Cette appartenance communautaire chaleureusement assumée, ne saurait définir notre identité : une appartenance se reçoit avec reconnaissance ; une identité se construit en toute liberté sur la base des valeurs universelles et nationales. La subordination des croyances d‘appartenance à nos valeurs apparaît donc aujourd’hui absolument essentielle car c’est elle qui permet de comprendre nos différences, nos divergences et d’en discuter en toute liberté et en toute intelligence sans pour autant trahir sa communauté, sans avoir honte de ses racines. En bref, une appartenance ne se renie pas mais elle ne nous définit pas. J’appartiens à la communauté juive MAIS je revendique le droit en tant que français de dénoncer la colonisation de la Cisjordanie ; tu appartiens à la communauté musulmane MAIS tu as le courage en tant que citoyen français d’affirmer reconnaître le droit à l’existence de l’Etat d’Israël ; elle est catholique MAIS elle se bat, en tant que citoyenne française pour le droit à l’avortement. Tout citoyen français doit ainsi avoir la capacité d’analyser avec objectivité, profondeur historique et humanisme une situation dans toute sa complexité en refusant que quiconque, au nom d’une appartenance commune, puisse lui imposer une vision tronquée et stéréotypée des réalités politiques sociales et culturelles.
La puissance de la langue française
Chérir son appartenance culturelle ou spirituelle sans jamais aliéner son libre arbitre est l’unique façon de construire un dialogue dans lequel chaque citoyen, dans sa singularité, contribue à construire l’intelligence collective. Portés par notre langue commune, nous saurons tous exposer et comprendre nos arguments respectifs, sans soumission et sans haine et… nous rendrons la nation française un peu plus intelligente. Pour que soit affirmée pacifiquement la richesse de sa diversité, l’identité nationale doit être portée par un engagement solennel de la République : « nul, quelle que soit sa croyance, quelle que soit sa culture, ne sera privé de la force de la parole, nul ne sera privé de la capacité de comprendre ». Pour relever le défi de la différence, la puissance de la langue française, est en effet centrale. Fondamentalement, l’identité nationale, c’est la conscience d’appartenir à une communauté rassemblant des appartenances diverses, mais dans laquelle chaque citoyen partage une volonté de dialogue grâce à une égale maîtrise, un égal respect, un égal amour de la même langue. Seule une maîtrise plus justement partagée de la langue française pourra donc permettre à tous les citoyens de notre pays de ne considérer aucune différence comme infranchissable, aucune divergence comme inexplicable, aucune appartenance comme un ghetto identitaire. Je dis bien « maîtriser la langue française », et non la « baragouiner ». Nous avons en effet ; depuis trop longtemps, accepté avec une complaisance coupable que le problème d’insécurité linguistique dont souffrent certains citoyens soit dissimulé sous le concept dangereux de « diversité linguistique ». Chacun pouvant ainsi parler comme il l’entend, chacun pouvant écrire comme cela lui chante, peu importe la justesse et l’efficacité de son langage. Nous devons, au contraire, à tous ceux que l’on accueille, d’où qu’ils viennent, le meilleur de notre langue. Ce n’est donc pas dans le foisonnement de particularismes langagiers, qui stigmatisent plus qu’ils ne distinguent, que réside la promesse d’une identité nationale honorable et désirée. Tous les citoyens dans ce pays ont droit à une langue commune juste, précise et… créative ; il est de notre devoir de la leur offrir, il est de leur devoir de la chérir.
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