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La République mourra-t-elle du ridicule ?

Une chronique amère d’Aurélien Marq


La République mourra-t-elle du ridicule ?
Un vendeur à la sauvette dans les rues de Paris, 2024 © ADIL BENAYACHE/SIPA

La situation de la France ressemble à ce qui se passe au pied de la Tour Eiffel : une autorité moquée et impuissante, laissant prospérer des désordres qu’elle pourrait pourtant contrôler. Entre une République qui se ridiculise par ses décisions absurdes et un pouvoir qui préfère détourner le regard face aux problèmes, le pays semble sombrer dans la farce et l’inefficacité. Mais derrière ce comique tragique, la défiance grandit, et un État qui perd le respect de ses citoyens peut finir par basculer dans l’instabilité, rappelle Aurélien Marq dans sa chronique.


Quand le roi passe son temps à parader en exigeant qu’on admire ses vêtements somptueux alors qu’en réalité il est nu, il ne se décrédibilise pas seulement lui-même, il saborde la légitimité de la monarchie. De la même manière, on aura beau dire que le ridicule ne tue pas, on en vient à se demander si la République ne va pas finir par mourir à force de se ridiculiser.

Doux commerce

Le 22 février, aux pieds de la Tour Eiffel, des vendeurs à la sauvette ont mis en fuite les policiers en leur jetant des tours Eiffel miniatures. Même les scénaristes de Taxi n’auraient pas osé. D’après l’article – très complet – du Parisien (le 28 février), ce petit monde déclare « on parle que wolof » et quelqu’un qui « essaie d’obtenir des papiers » a déjà été arrêté deux fois. « Ils me disent de dégager » mais il revient, évidemment. « De retour en force à Paris après la trêve des Jeux olympiques, les vendeurs à la sauvette sont peut-être même plus nombreux qu’avant. » Eh oui, ce ne serait pas arrivé pendant les Jeux Olympiques : preuve que quand on veut, on peut, et que quand la République laisse faire, c’est par choix.

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En Isère, des dealers ont distribué des prospectus dans les boîtes aux lettres pour vanter leurs produits : cocaïne, cannabis, puff, protoxyde d’azote… « Des produits de confiance, à la hauteur de vos attentes » – c’est ce qui est marqué sur ces flyers publicitaires, et ce n’est pas un remake modernisé de la célèbre scène des nudistes du Gendarme de Saint-Tropez. La différence essentielle étant que les nudistes n’ont jamais tué personne, alors que les narco-trafiquants ne s’en privent pas. On rit, mais on rit jaune.

Relations franco-algériennes : une farce grinçante

Après l’attentat de Mulhouse, on pouvait s’attendre à un peu de fermeté vis-à-vis de l’Algérie. Emmanuel Macron ne l’a pas entendu de cette oreille, et les non-expulsions se suivent et se ressemblent : « Les autorités algériennes n’ont pas accepté son retour et l’ont renvoyé vers Paris. De retour en fin d’après-midi, l’homme, condamné à de multiples reprises par la justice française… » « Deux ressortissants algériens, connus de la justice française, ont été expulsés vers leur pays d’origine ce jeudi matin 6 mars, avant d’être refusés par l’Algérie et renvoyés en France. » Sonia Mabrouk l’a parfaitement résumé, se faisant la voix du bon sens et de la France : « On peut se montrer comme Churchill face à Poutine et comme Chamberlain face à Tebboune ? » François Bayrou lui a répondu au nom de la République, ou plutôt ne lui a pas répondu, accumulant langue de bois, circonlocutions, et soumission éhontée devant la diaspora algérienne. « Que de précautions, Monsieur le Premier Ministre, après tant d’humiliations de la France ! » releva Sonia Mabrouk, décidément excellente. Pourvu que Poutine n’ait pas la terrifiante idée de peindre des drapeaux algériens sur ses chars, tout notre arsenal militaire deviendrait impuissant à les empêcher de franchir nos frontières et de parader dans nos rues. Lola est morte, Lino Sousa Loureiro est mort, et François Bayrou « ne partage pas ce genre de formule un peu désobligeante. » La République n’est plus qu’une farce grinçante.

Heureusement, le ministère de la Culture contribue à sa façon à l’effort de défense : sa campagne de « réinvention » des enseignes des marchands de presse « accompagnant les transformations du métier » arrive à point nommé pour nous démontrer qu’on peut sans problème supprimer une bonne partie de son budget – quel magnifique sens du timing et de là-propos !

Constantinople en 1452

Et à propos d’à-propos, l’administration pénitentiaire n’est pas en reste. 125 millions d’euros pour offrir 25.000 tablettes aux détenus, c’est la fin de l’abondance et l’économie de guerre, mais l’économie de guerre républicaine ! À 5.000 euros la tablette, comme l’a dit Jean-Sébastien Ferjou d’Atlantico, si ce n’est pas de la corruption, c’est de l’incompétence de niveau stratosphérique. Rions de bon cœur, c’est nous qui payons avec nos impôts. Mais puisque nous avons 3.228.400.000.000 € de dettes, nous ne sommes plus à ça près, alors autant s’amuser ! Tiens, c’est exactement ce qu’a fait France Télévisions : on apprend que 1.000 de ses salariés bénéficient, chaque mois, jusqu’à 4.000 € de frais professionnels (eh oui, bien sûr, c’est nous qui payons avec nos impôts). C’est Byzance, c’est Versailles ! Versailles en 1788, Byzance/Constantinople en 1452.

https://twitter.com/jsferjou/status/1898024360876580917

Même la réouverture de Notre-Dame, dont la restauration est l’un des rares succès des dernières années, s’est faite parodique, l’archevêque aux couleurs de Lidl brandissant une crosse que le plus négligeant des cosplayers aurait honte d’utiliser pour incarner un magicien. Il faut dire que depuis le plug anal géant de la place Vendôme et les pneus dorés de l’Opéra Garnier, tout le monde sait que l’art véritable s’est réfugié dans la pop’culture – mais c’est un autre sujet.

Qui peut encore prendre ce régime au sérieux ? Tout ça est ridicule, et De Gaulle doit se retourner dans sa tombe. Le roi est nu, il le sait, nous le savons, il sait que nous le savons, et il craint le jour où cela ne nous fera plus rire du tout. C’est dangereux. Un roi qui a peur de son peuple rêve de tyrannie.

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Haut fonctionnaire, polytechnicien. Sécurité, anti-terrorisme, sciences des religions. Dernière publicatrion : "Refuser l'arbitraire: Qu'avons-nous encore à défendre ? Et sommes-nous prêts à ce que nos enfants livrent bataille pour le défendre ?" (FYP éditions, 2023)

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