Monsieur Nostalgie nous parle de la famille élargie des Hussards dont quelques membres plus ou moins éloignés publient, entre la fin février et le début du mois de mars, des romans, récits ou nouvelles. De Neuhoff à Quiriny en passant par Bilger et Cérésa, toute la panoplie des réfractaires, du romantique au boulevardier, nous ouvre la voie de la dissidence…
Les Hussards, c’est le mouvement littéraire le plus commode pour un critique. Aucun risque de se tromper. N’ayant jamais été défini clairement, il peut, par nature, tout englober. On peut donc impunément y inclure des têtes bien connues et de nouveaux talents, des plumes allant du réfractaire au réprouvé, du sentimental au pinardier, du mémorialiste au comique troupier. Cette famille n’exclut personne, les adeptes de la phrase courte comme de la phrase charnue, du je-m’en-foutisme au révolté pétaradeur, les apatrides de la littérature officielle y ont l’asile permanent.
Quand le style l’emporte sur les considérations politiques
Contrairement à l’existentialisme ou au Nouveau Roman, le manuscrit dit « Hussard » n’est pas à thèse, il préfère la liberté à la bride, le genre pluriel à la schlague idéologique. Ce qu’on lui reproche avant tout, c’est d’avoir flirté historiquement avec le mauvais bord. En littérature, rappelons qu’il n’y a pas de mauvais bord, je choque souvent mes confrères en leur disant qu’il y a deux sortes de livres : les écrits et les non-écrits. On me sermonne, me prenant pour un naïf ou un rétrograde qui s’attacherait seulement au style et rien qu’au style. Effectivement, le reste est accessoire. Et il se trouve que chez les Hussards des origines à nos jours, le souci de bien écrire l’emporte sur les considérations politiques. J’appelle ça la politesse de l’auteur. Le lecteur a comme droit fondamental, de ne pas se fader des romans vaseux dans un français approximatif. En outre, ayons la décence de ne pas l’importuner avec des théories sans queue, ni tête et des dérives victimaires à plus soif. Arbitrairement, c’est mon seul luxe, j’ai réuni sous la bannière « hussard », des écrivains qui me semblent aller à reculons des modes, c’est-à-dire dans le bon sens vers le bon goût. Ces auteurs-là, de générations différentes et aux parcours variés, ont cependant un dénominateur commun. Ils chassent sur leurs propres terres ; au fil de leur œuvre, ils creusent un sillon distinctif, pas toujours rectiligne, mais qui place la littérature dans le domaine des rois. Ils n’avancent pas avec la meute, ils ne se veulent pas disruptifs pour faire les intéressants, ils ne communient pas avec les idées en vogue du moment, ils laissent filer leur plume, là où leur cœur balance. Je vous propose quelques livres parus ou à paraître durant ces vacances d’hiver.
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Langue nerveuse et pétillante
Avec Pentothal1, Éric Neuhoff, qui fut dans sa jeunesse qualifié de néo-hussard a gardé le sens du rythme, son staccato d’écriture est toujours aussi agréable à l’oreille, ça sonne comme une samba pluvieuse qui aurait façonné sa mélancolie. Il nous a déjà parlé de son accident de voiture en Espagne et de la perte de son ami. Là, il se dévoile ; chez ce hussard, le dévoilement n’est pas crudité ou nudité intégrale, il serait plutôt fermentation des temps heureux, fracture d’une jeunesse gorgée de soleil, et puis après le drame, l’hôpital, l’errance dans un autre monde, le souvenir des fumeroles d’une convalescence et l’apprentissage d’un nouveau corps. Neuhoff n’aurait pas écrit, c’est une évidence, le même livre à trente ans, il est pudique, et malgré tout, il évoque ce passé, le fait briller à sa manière si particulière, sa nostalgie est encore plus abrasive, elle brûle la peau. Toute famille hussard doit avoir son tonton batailleur, sabre au clair et mort aux cons. François Cérésa, le pirate de Service Littéraire, revient avec Pavillons noirs, un roman historique retraçant les aventures des derniers flibustiers français aux Antilles, un hommage aux libertaires de l’île de la Tortue et aux affranchis de tous les pays. Ce grand escogriffe se marre et nous avec. Car, chez lui, la langue ne postillonne pas, elle est tonitruante, pleine d’actions et de rires, elle est nerveuse, pétillante, jamais lâche. L’animal est parfois dur à suivre, il a de la ressource, la verve des possédés. Son souffle de vie s’entend encore plus fort. La légende « Hussard » est potache, on s’amuse à les dessiner bambocheurs, pilotes de course ou leveurs de coude. C’est le catafalque où repose la dépouille du cercle original des hussards. Un moyen bien pratique pour disqualifier leurs textes. Il existe pourtant des hussards romantiques et nuancés. Philippe Bilger2, fin observateur de la vie politique, dans un essai intitulé MeTooMuch ? égrène quelques réflexions sur les rapports entre les hommes et les femmes. Il déplore la judiciarisation et les haines recuites, l’impossibilité de trouver un terrain d’entente, qui jadis faisait le bonheur des amoureux. Philippe est un amoureux qui veut aimer en toute innocence. Cet essai vif fustige évidemment notre époque heurtée et les dérives de tous les mouvements. Mais, cet homme nuancé, posé, réfléchi qui affectionne par-dessus tout, la joute oratoire et l’esprit français, regrette les élans sincères avant que la suspicion ne vienne tout salir. Désormais quand je penserai aux amoureux de Peynet, je verrai distinctement le visage de Philippe sur un banc public embrassant sa tendre épouse. Enfin, dans cette nouvelle famille hussard que je dessine à gros trait, il y a une filiation évidente entre Bernard Quiriny qui publie Nouvelles nocturnes et le tutélaire Marcel Aymé. Une invention caustique, une fantaisie qui se duplique, une aisance à se libérer de tous les carcans, une vrille qui amène ses personnages sur des terres meubles. Son recueil de nouvelles est aérien. Je veux dire par là, que ses scènes fort amusantes ne sont pas lourdes ou affreusement poseuses. Elles enchantent par leur ironie et une forme de virtuosité tranquille. Quiriny met un grand coup de balai dans les imaginaires figés.
Pentothal d’Éric Neuhoff – Albin Michel
Pavillons noirs de François Cérésa – Les Editions de Maris Max Chaleil
Pavillons noirs: les joyeuses et terribles aventures des derniers flibustiers français aux Antilles
Price: 17,00 €
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MeeTooMuch ? de Philippe Bilger – Héliopoles – sortie le 6 mars
Nouvelles nocturnes de Bernard Quiriny – Rivages – sortie le 5 mars
- Lire l’article de Philippe Lacoche https://www.causeur.fr/eric-neuhoff-pentothal-retour-sur-le-drame-de-sa-vie-302594 ↩︎
- Retrouvez notre ami Philippe Bilger dans les colonnes de Causeur: https://www.causeur.fr/author/bilger ↩︎
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