Alors que le président Macron cherchait hier à Washington à obtenir des garanties de sécurité pour l’Europe, Donald Trump a maintenu une approche unilatérale, minimisant l’engagement américain. Le président américain se dirige à vive allure vers un cessez-le-feu. Mais un cessez-le-feu n’est pas forcément la paix. Analyse.
Donald Trump et Emmanuel Macron se sont montrés très souriants lundi 24 février à Washington. Les deux hommes s’apprécient depuis plusieurs années, n’en déplaise aux admirateurs français du Donald qui ont relayé dans la journée les éléments de langage du Kremlin sur un prétendu « mépris » de l’Américain qui aurait refusé d’accueillir son homologue français sur le perron de la Maison-Blanche. C’était évidemment faux.
En réalité, Donald Trump aura même multiplié les marques d’amitié envers son « ami Emmanuel ». Il a, excusez du peu, affirmé que le travail « formidable » d’Emmanuel Macron pour reconstruire Notre-Dame n’avait pas été assez reconnu à sa juste valeur, que le français était la plus belle langue du monde, puis il a fait diffuser une magnifique vidéo sur la page X de la Maison-Blanche vantant le « plus vieil et fidèle allié de l’Amérique ».
Le président Duda aurait bien aimé que l’engagement indéfectible de la Pologne envers l’Amérique soit récompensé de la sorte, lui qui a passé deux heures à attendre dans un cagibi que Donald Trump veuille bien le recevoir une petite dizaine de minutes. Idem pour Georgia Meloni qui n’a pas pu s’empêcher, mesquine, de diffuser une vidéo à l’issue de la rencontre… où Emmanuel Macron ne figurait pas, coupé comme on le ferait sur une vieille photo avec un ami désormais honni. Et le tout en flattant « à l’italienne », comme dans un opéra-bouffe de Rossini, le président américain…
Oui, la réussite médiatique fut au rendez-vous. Les jalousies exacerbées des puissances européennes intermédiaires en furent la meilleure preuve. Ils ne devraient pas se vexer. La réalité est qu’à l’image de Vladimir Poutine, Donald Trump ne considère vraiment comme importantes en Europe que deux nations : la France et la Grande-Bretagne. Pays dotés de l’arme nucléaire et anciens Empires aux histoires glorieuses, ces deux nations ont l’heur de plaire au président américain qui ne les gausse jamais avec vulgarité.
Mais au-delà des belles images et des démonstrations d’amitié, qu’a donc gagné Emmanuel Macron ? Peut-on se satisfaire de cet exercice d’autosatisfaction où le président est apparu rieur et décontracté, façon buddy du bully ? Pas vraiment, bien qu’il en ressorte aussi quelques motifs d’encouragement.
Un vote majeur à l’ONU
Le fait marquant du jour se produisit non pas à Washington mais à l’ONU. Nous avons assisté à un moment historique et tragique. Pile trois ans après l’invasion de l’Ukraine par la Russie, les Etats-Unis se sont alliés à la Russie lors de votes inédits et lamentables portant sur la résolution du conflit par une paix expresse, sans condamnation de Moscou, ni même défense de la souveraineté de l’Ukraine, ou garanties de sécurité quelconques. Russes et Américains sont désormais ensemble contre le droit international le plus élémentaire, renforcés de la Hongrie et d’Israël, et alliés à des pays aussi recommandables que la Corée-du-Nord, le Soudan, le Burkina-Faso ou encore Haïti, le Niger et le Mali. Penser que les Etats-Unis sont contre l’avis de tous les pays européens, à l’exception de la Macédoine-du-Nord, est tout de même sidérant.
A lire aussi, John Gizzi: La ruée vers l’âge d’or
Quand Macron s’amusait à « checker » la main de Donald Trump et écarter les jambes sur un gros fauteuil de la « White House », les Américains faisaient eux savoir quel était leur véritable avis sur le conflit à l’ONU. Les quelques éléments présentés comme remarquables de la part d’Emmanuel Macron relèvent du strict nécessaire et du strict minimum. Il a effectivement repris Donald Trump sur l’inversion des responsabilités qu’il fait à propos de ce conflit, mais il s’agit d’une position de principe jamais démentie. En quoi ce rappel avait-il un caractère spécifique ? N’est-ce pas une attitude élémentaire pour une puissance comme la France ? Pendant ce temps, Zelensky, conscient des enjeux, se montrait furieux et n’hésitait pas à dénoncer les anciens alliés prêts à renoncer à leur honneur pour quelques gains financiers. Les différentes piqûres de rappel du président français auront eu au moins le mérite d’être dites en face, c’est à saluer.
Mais ne soyons pas naïfs, ce qui se cache derrière ce théâtre, c’est le vide. Comme le disait Jean Baudrillard, « Ainsi le simulacre n’est pas ce qui cache la vérité, mais ce qui cache l’absence de vérité ». Emmanuel Macron a correctement tenu son rang sans s’affirmer comme un grand politique. Il n’est pas Charles de Gaulle, il est un peu rusé mais ce ne sera pas suffisant. Il doit faire mieux et plus. Il ne doit pas hésiter à affirmer que l’Amérique et la Russie ne peuvent pas passer par-dessus l’Europe. Il doit le leur dire et le dire à toute l’Europe. Notre alliance historique avec l’Amérique, rappelée par Donald Trump, commande aussi de l’exigence.
Quand un président français se rend aux États-Unis dans un moment aussi grave, il doit être habité par les mânes de Saint Louis, Clemenceau, Charlemagne, de Gaulle, etc. Il est à ce moment-là l’incarnation de la France, qu’on le veuille ou non. Pire, il représentait même l’Europe. Une relation doit nous apporter du concret. Et qu’a-t-on eu de ce côté-là ? Le droit de pouvoir envoyer des troupes de réassurance si une paix est signée. Soit précisément ce que commandait l’Amérique. Nous proposons une assurance pour une vente dont nous ne connaissons ni les termes ni l’objet. Du jamais vu. Nous nous engageons à payer sans rien récupérer en retour. Et maintenant le négociateur en chef, le roi du deal, en fait une « concession ». Mais la vraie demande c’est que l’Europe négocie et soit à la table, qu’elle propose son propre plan de paix bien plus exigeant car la situation opérationnelle l’y autorise. C’est ce que fait Erdogan avec son propre plan de paix ou quand il propose à l’Europe son armée contre son entrée dans l’Union.
Vers un cessez-le-feu abusivement présenté en paix
Avant de signer une paix, il faut un arrêt des combats. Soit un cessez-le-feu. Et un cessez-le-feu repose sur des garanties de sécurité pour produire des effets. C’est sur cette ambiguïté sémantique que jouent les différents protagonistes de l’affaire ukrainienne. Concluons par cette phrase un peu grossière du twitto Olivier Barnay : « Donc si je comprends bien, Macron est venu offrir une présence militaire (non belligérante SIC) européenne garantissant un accord conclu entre Trump et Poutine et ratifié sous la contrainte par Zelenski. Si cela se passe ainsi, on est tous gros-jean comme devant. » Gageons que nous n’en sommes qu’aux prolégomènes de la résolution d’une guerre pourtant déjà dramatique et longue… Les Russes ont en tout cas aujourd’hui, grâce à Donald Trump et à l’inconscience des Européens, les cartes en main.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !