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Défendre Boualem Sansal, c’est défendre l’idée même de la dignité humaine

Une tribune libre de Kamel Bencheikh


Défendre Boualem Sansal, c’est défendre l’idée même de la dignité humaine
Boualem Sansal et Kamel Bencheikh © D.R.

Écrivain libre, Boualem Sansal incarne une parole rare et précieuse, qui défie les interdits et éclaire les consciences. Face aux pressions et à l’isolement, il demeure un veilleur, fidèle à la vérité et à la dignité humaine.


Que dire de Boualem Sansal, sinon qu’il est un phare dans la nuit, une lumière têtue qui brille même quand les vents contraires s’acharnent à l’éteindre ? Il est de ces esprits que rien ne courbe, pas même la solitude de l’exil intérieur, pas même la menace tapie dans l’ombre. Il marche droit, le regard franc, traçant dans la poussière du siècle une route que peu osent suivre. Et moi, sur ce chemin, j’ai eu la chance de croiser son pas, de partager avec lui des instants de fraternité, des discussions sans fard, où les mots circulaient librement, avec cette confiance rare qui lie les âmes sincères.

Sansal est d’abord une voix, et quelle voix ! Une parole claire et nue, dépourvue d’esbroufe, affranchie des postures et des faux-semblants. Il n’a pas besoin de hausser le ton pour se faire entendre, car ses mots portent en eux le poids du réel et la gravité des vérités tues. Dans un monde où les écrivains se parent trop souvent du masque du grand penseur, lui se contente d’être un homme qui observe et qui dit. Son humilité est la preuve de son authenticité, et cette authenticité est la seule autorité qui vaille, celle qui n’a nul besoin de décorum pour imposer le respect. J’ai toujours admiré chez lui cette justesse, cette manière de ne jamais se draper dans le prestige, de ne jamais trahir la parole donnée.

Sa liberté, il l’a toujours crue inaliénable. Il pensait, dans sa naïveté lumineuse, que les chaînes ne pourraient l’atteindre, que sa parole n’avait pas de prise sur l’édifice du pouvoir. Mais il a sous-estimé, dans son infinie modestie, la puissance d’un verbe sincère. Il a cru qu’on pouvait dire sans craindre, écrire sans payer le prix. Or, le monde ne pardonne pas aux esprits libres leur insoumission. Boualem Sansal en sait quelque chose. Et combien de fois avons-nous parlé ensemble de ces risques, de ces vérités trop lourdes à porter, de ces silences que l’on voudrait lui imposer ? Toujours, il répondait avec cette sagesse teintée d’ironie, cette façon bien à lui de défier l’inacceptable avec une tranquille obstination.

À lire aussi, Philippe Bilger : Boualem Sansal: une honte humaine plus qu’une faute politique…

En France, certains regardent avec méfiance cette parole indocile. Ils chuchotent, ils insinuent, ils drapent leur prudence d’idéologie. Ils oublient que derrière l’écrivain, il y a un homme, un frère, un veilleur qui, du fond de sa solitude, continue de scruter l’horizon. Ce qu’il dit, il ne l’invente pas ; il le voit, il le vit, il le touche. Il sait que l’Histoire est un ressac, que les ombres d’hier reviennent hanter le présent. Il sait que l’Algérie qu’il a tant aimée est une terre où la parole libre est une offense, où l’honnêteté est une provocation.

On ne l’emprisonne pas avec des murs, car son esprit ne connaît pas d’entraves. Il est en résistance, non par choix, mais par nécessité. Parce qu’il ne saurait se taire. Parce qu’écrire est une façon de respirer. Parce qu’un veilleur ne ferme jamais les yeux. Et nous, que faisons-nous, de ce côté de la mer ? Moi, que fais-je, alors que mon ami endure cette solitude que je voudrais briser, alors que sa voix, qui résonne encore en moi, semble s’éloigner derrière les murs où l’on voudrait l’enfermer ?

Ne pas soutenir Boualem Sansal, ce serait non seulement trahir un ami, mais renier en nous cette part inaliénable d’humanité qui nous lie les uns aux autres. Ce serait accepter que la peur l’emporte sur la vérité. Ce serait baisser les armes devant l’arbitraire. Alors non, nous ne nous tairons pas. Nous dirons, avec la force que nous avons, que sa voix est la nôtre, que son combat est le nôtre. Nous le dirons haut et clair, sans trembler. Et moi, je le dirai encore plus fort, parce que c’est mon ami, et que l’amitié est aussi un serment qui se tient debout.

Car défendre Boualem Sansal, c’est défendre l’idée même de la dignité humaine.

Kamel Bencheikh, dernier ouvrage publié L’islamisme ou la crucifixion de l’Occident, préface de Stéphane Rozès, éditions Frantz Fanon, novembre 2024, 208 pages.

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