Près de deux siècles après sa création, Les Puritains de Bellini continuent d’éblouir tant par sa musique que par son histoire. Laurent Pelly ressuscite ce chef-d’œuvre italien pour en faire un opéra d’exception.
Une après-midi de septembre 1835, à Puteaux, Bellini meurt à 34 ans ! Un an plus tôt, il s’était établi à Paris. En janvier de cette même année 1835, le Théâtre-Italien venait de créer l’ultime melodramma serio du compositeur natif de Catane : Les Puritains. L’Opéra-Bastille a été bien avisé de reprendre, dans une distribution entièrement renouvelée, ce chef-d’œuvre indépassable du bel canto, dans une production millésimée 2013, reconduite fin 2019, à tous égards frappée au sceau du talent.
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D’abord, la musique. On ne présente plus ce drame lyrique, dont l’action se situe dans l’Angleterre du XVIIème siècle : Elvira, la nièce de sir Giorgio, éprise d’Arturo et qui, sur fond de guerre civile opposant les partisans de Cromwell (les puritains, justement) aux fidèles à la dynastie des Stuarts, se croyant trahie sombre dans la démence, avant de recouvrer la raison in extremis quand son chéri lui est miraculeusement rendu… Les trois actes enchaînent des airs aussi fameux que ceux de Norma ou de La Somnambula, telle cette aria qui, dans l’acte deux, s’ouvre par « Qui la voce soave. Mi chiamava…e poi spari » (« ici sa voix douce m’appelait… et puis a disparu »)… Il est toujours tentant d’allonger le tempo et d’en rajouter dans le legato sur ce registre tellement mélancolique, ce à quoi résiste la baguette à la fois nerveuse et feutrée (en particulier dans les solos) de Corrado Rovaris, actuel directeur musical de l’Opéra de Philadelphie, chef qu’on découvre à Paris, à la tête d’un Orchestre et Chœurs de l’Opéra, comme toujours, en grande forme.
On peut en dire tout autant des chanteurs, à commencer par la soprano Lisette Oropesa, sublime d’un bout à l’autre dans le rôle-titre, d’une agilité confondante dans les vocalises stratosphériques que réclame la partition. Elle a pour partenaire le ténor Lawrence Brownlee, qui campe un Arturo d’un ouaté, d’une délicatesse, d’une élégance dans le phrasé, d’une richesse de timbre proprement stupéfiants. À leurs côtés, la basse italienne Roberto Tagliavini incarne admirablement, de sa blonde et mâle prestance, l’oncle secourable d’Elvira, Sir Giorgio, tandis que l’émission quelque peu métallique du baryton-basse canado-arménien Vartan Gabrielian convient au fond très bien au personnage de Lord Valton, le gouverneur de la forteresse de Plymouth. L’Ukrainien Andrii Kymach (qu’on a entendu l’an passé ici même dans le rôle de Ford, dans Falstaff), fait dans sa tenue bleu-roi un Riccardo de haute tenue, tout comme la mezzo néerlandaise Maria Warenberg assume l’emploi de la prisonnière Henriette de France, sauvée de l’exécution par Arturo, avec une magnifique présence vocale et scénique.
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La remarquable intelligence de la mise en scène signée Laurent Pelly (sur les décors de Chantal Thomas, sa partenaire de toujours) complète ce dispositif, pour faire de ce spectacle l’apothéose de cette saison lyrique hivernale. Car tout se tient : l’historicisme épuré, discrètement allusif de ce plateau tournant qui dessine au trait noir la géométrie de ces architectures où s’affrontent les protagonistes, illustrant de façon lisible, sans nul élément superfétatoire, leur enfermement, leur vulnérabilité ; les costumes : Elvira, de blanc vêtue, voilée puis dévoilée, prisonnière insatiable de sa conscience malade ; les femmes emprises dans leurs collerettes blanches et leurs robes rigides de derviches tourneurs, dans un camaïeu subtil de gris et noir ; les princes altiers, bottés, l’épée à la ceinture, flanqués d’une soldatesque casquée de morions… Les déplacements superbement agencés de tout ce petit monde animent le plateau dans un ballet complexe où les chœurs se mêlent aux figurants. La configuration, enfin, réserve toujours aux chanteurs, face au public, le premier plan du plateau, de sorte l’immensité de la salle de la Bastille ne nuit jamais à l’émission vocale, dans sa balance subtile avec le volume orchestral : l’esprit même du bel canto s’en trouve magnifié. Tout est donc très finement pensé, intelligemment articulé dans cette scénographie d’exception. Une fois n’est pas coutume, aucune huée ne pollue l’ovation délirante qui, au tombé de rideau, accueille la prestation. Lancés à pleins poumons, mille bravos volent vers Lisette Oropesa. Étincelante.
Les Puritains. Opéra en trois actes de Vincenzo Bellini. Avec Lisette Oropesa, Lawrence Brownlee, Vartan Gabriellan, Roberto Tagliavini, Andri Kymach, Manase Latu et Maria Warenberg. Direction : Corrado Rovaris. Mise en scène : Laurent Pelly. Orchestre et Chœurs de l’Opéra national de Paris.
Durée : 3h20
Opéra Bastille, les 12, 15, 18, 21, 24, 27 février, 5 mars, à 19h30
