Gérard Collomb, sénateur-maire de Lyon a récupéré cette année l’organisation du « Forum Libération » que son camarade du PS et rival régional Michel Destot, député-maire de Grenoble, a laissé filer dans la capitale des Gaules pour des raisons budgétaires.
Ce grand raout intellectuel, politique et mondain ressemble à une grande foire aux discours et aux idées où le bon peuple est invité à venir admirer et consommer ce qui se fait de mieux dans le genre.
Ce n’est pas désagréable de flâner de débat en débat, quand le temps est beau, le cadre somptueux (l’Hôtel de ville et l’Opéra de Lyon). On est, de surcroît, assuré de trouver dans un rayon de moins de cinq cents mètres une tripotée de restaurants dont certains, dont je tairai le nom pour ne pas les signaler aux touristes, méritent vraiment l’appellation de bouchon lyonnais, souvent usurpée.
Bref, grâces soient rendues à Gégé Collomb de se faire l’amphitryon (le véritable, celui où l’on dîne) d’une manifestation dont il espère, sans doute, des retombées positives pour sa ville et la suite de sa carrière politique. En fait de foire, celle-ci serait plutôt du genre brocante et vide-grenier, où l’on peut chiner sa pâture intellectuelle parmi les stands présentant des thématiques ayant déjà dans un passé récent ou plus lointain fait l’objet de controverses intellectuelles et politiques. On pardonnera donc au quotidien de la rue Béranger de nous avoir fourgué comme une avant-première une projection du film Le neuvième jour de Volker Schlöndorff, tourné en 2004 et diffusé sur Arte en avril 2007… Dans toute brocante on peut trouver quelques arnaqueurs, mais cela n’enlève rien au plaisir du chineur. Si l’on ajoute les pipoles du moment, Fréderic Mitterrand, Nicolas Hulot, Dany Cohn-Bendit que les badauds sont ravis de voir en chair et en os, on a tous les ingrédients d’un week-end réussi.
Le thème choisi cette année, « l’Europe vingt ans après la chute du mur de Berlin », permettait toutes les variations et supportait fort bien que l’on sacrifiât à la marotte du patron de Libé, Laurent Joffrin – se faire l’entremetteur d’une alliance de la gauche, des Verts et du centre.
Tout l’éventail socialiste avait été convié, de Martine Aubry à Vincent Peillon, en passant par Valls et Hollande, pour faire avancer ce rassemblement en dialoguant avec Cohn-Bendit et Bayrou sous le regard bienveillant d’un Gérard Collomb bien revenu de son enthousiasme ségoléniste. Las, ce qui devait être le coup d’envoi d’une nouvelle alliance visant à bouter Sarko hors de l’Elysée, se résuma à une guignolade qui devrait réjouir les partisans du maintien à son poste de l’actuel président de la République. Normal, dira-t-on, dans une ville dont Guignol et ses partenaires du café du Soleil sont les icônes d’une lyonitude fièrement assumée et revendiquée. Mais cela serait faire injure à Laurent Mourguet, le créateur de Guignol, et à ceux qui, comme Emilie Valantin[1. Emilie Valantin dirige la compagnie du Théâtre du Furs, qui met en scène des spectacles de marionnettes, dont des reprises de saynettes écrites pour Guignol par Laurent Mourguet. Elle fut chargée, en 2008, de célébrer le 200e anniversaire de la naissance de Guignol avec un spectacle Les embiernes commencent, présenté au Théâtre des Célestins à Lyon. Pour les non-familiers du parler des gones, les embiernes sont la version lyonnaise des emmerdes.], s’efforcent de perpétuer la tradition frondeuse des marionnettes du Vieux Lyon, que de les comparer au spectacle offert en cette fin septembre par les camarades socialistes dans la cité rhodanienne.
Le premier acte prévoyait, dès le lever du rideau, de faire dialoguer Martine Aubry et Daniel Cohn-Bendit sur la scène de l’Opéra rénové par Jean Nouvel. Esthétiquement, c’était assez osé : Titine la rose et Dany le Vert sur le fond noir de jais de la grande salle. Mais la dramaturgie était là : on aurait vu un Dany magnanime offrir à Martine la présidence de la République à un socialiste, à condition que celui-ci lui convienne et qu’il accepte, dans la famille, un Bayrou auquel cette belle âme de Dany a pardonné les offenses de la campagne des européennes.
Martine Aubry, qui n’est pas la moitié d’une andouille, avait flairé le piège et s’est décommandée au dernier moment, envoyant à sa place le tonton-flingueur Claude Bartolone pour donner la réplique au rouquin. Pendant ce temps-là, Martine Aubry se faisait un restau entre filles avec Cécile Duflot, la cheffe des Verts français, pour tenter d’enfoncer un coin entre cette dernière et le remuant leader d’Europe-écologie.
Dépité, Cohn-Bendit eut beau vanner à mort ce pauvre Bartolone, celui-ci ne démordit pas une seule seconde de son os stratégique : d’abord l’union de la gauche à l’ancienne avec PC, radicaux, verts, chevènementistes et amis de Mélenchon, et après on verra ce qu’on fait avec le Modem et Bayrou. Bartolone se propose même de rassembler tout ce petit monde au sommet de l’Aiguille du Midi, un endroit symbolique pour prendre de la hauteur et échapper au marécage dans lequel pataugent actuellement la gauche et le PS. Et pas question de mettre Bayrou dans la benne du téléphérique qui portera l’illustre compagnie jusqu’à ce sommet tout aussi réel que métaphorique, même si Dany le prend sous son aile.
Le deuxième acte, en revanche, se déroula comme prévu. Sous un chapiteau planté sur la place des Terreaux, sous l’œil bienveillant du bon roi Henri IV, dont l’effigie en cavalier orne la façade de l’Hôtel de Ville, l’autre Béarnais, François Bayrou, disait son texte et François Hollande lui donnait la réplique. D’accord pour un « parlement de l’alternance », pour discuter des alliances pour les régionales et mise entre parenthèses de l’élection présidentielle, le duo Hollande-Bayrou était nettement plus harmonieux que la cacophonie Cohn-Bendit-Bartolone. Peut-être Hollande souffre-t-il du mal des montagnes, toujours est-il qu’il ne fit aucune allusion à l’excursion projetée à l’aiguille du Midi et se permit même de mettre en garde François Bayrou contre certains des « camarades » conviés à y participer : « Je suis beaucoup moins ouvert que François Bayrou, qui est prêt à aller jusqu’à M. Mélenchon ou M. Besancenot. Pas moi. Peut-être parce que je les connais mieux que lui ! », a ainsi lancé monsieur p’tites blagues, qui se voit tout à fait remplacer son ex-compagne dans le cœur des barons locaux style Collomb : ceux-ci préfèrent mille fois les cathos du Modem aux braillards gauchistes dans les exécutifs qu’ils dirigent.
On imagine la perplexité du peuple de gauche qui était accouru fort nombreux vers un spectacle où il espérait puiser un réconfort après les dernières péripéties crapoteuses de la guerre des chefs au PS…
Vincent Peillon s’étant également fait porter pâle et Ségolène Royal ayant choisi Frêche et Montpellier plutôt que Lyon et Collomb pour y célébrer la fraternitude, il ne restait plus que quelques second violons, comme Aurélie Filipetti, Manuel Valls ou Élisabeth Guigou pour sauver la pièce. Ce qui échoua, bien entendu, malgré leurs efforts méritoires. Qu’importe d’ailleurs, puisqu’il semble que les socialistes, dans les scrutins locaux, ne souffrent pas trop de leurs déboires théâtraux sur la scène nationale, ce qui convient tout à fait à Gégé et ses copains des autres provinces. Socialiste à l’Elysée, veste assurée : tel est le dicton caché de ces maires, présidents de régions et de conseils généraux PS qui œuvrent dans notre beau pays de France.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !