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La boîte noire de Quignard


La boîte noire de Quignard
Pascal Quignard est-il vraiment dingue ?
Pascal Quignard est-il vraiment dingue ?
Pascal Quignard est-il vraiment dingue ?

L’autre jour, j’ai pu donner l’impression au lecteur pressé que je daubais sur Libé, sans doute à cause du titre et du sujet de mon papier. En vérité, sous prétexte de commenter la « nouvelle formule » du quotidien, je me livrais là à mon exercice favori: pointer les contradictions, notamment chez les autres.

Emporté par mon sujet, un peu comme VGE dans Démocratie française, j’ai même dit une connerie[1. Enfin, moi c’est comme lui : on nous a mal compris.]. Non Libé n’est pas plus mal écrit que ses concurrents. Il peut même être carrément bon, dès qu’il ne se sent pas contraint d’être « citoyen ».

Ainsi dans le supplément « Livres » de jeudi dernier, mon attention a-t-elle été attirée par un papier sur La barque silencieuse de Pascal Quignard – tome 6, paraît-il, d’une saga intitulée Dernier royaume.

Pour des raisons qui m’échappent, j’avais zappé les cinq premières marches de ce monument en construction. En revanche, j’avais entrevu plusieurs fois l’auteur dans des zoos littéraires télévisés, et je m’étais dit : « Le mec est raide dingue ! »

Des yeux fous ouverts sur l’abîme, mangeant un visage lisse ; un type qui fait peur même quand il ne dit rien, mais qui en plus te mélange dans la même phrase le procès de l’Eglise et l’éloge du suicide – comme si c’était Benoît XVI qui l’égorgeait.

Un dément, pensais-je donc, en voyant ce Quignard s’agiter comme une bête traquée par elle-même. Un possédé qui, à ce titre, mérite ma compassion.

Et paf ! Voilà que dans Libé, Philippe Lançon – car c’était lui – m’ôte mes dernières illusions. Non, Pascal Quignard n’est pas le ouf malade que je voyais : plutôt « une précieuse que personne n’a l’air de trouver ridicule ».

Bonne nouvelle, somme toute : ce best-seller humain ne risque pas d’être arraché prématurément à l’affection de ses éditeurs[2. Je sais, s’il meurt dans la semaine, j’aurai l’air con ; mais c’est ça le journalisme, non ?]. Quignard n’est pas fou du tout, il se fout de nous, et c’est pour ça qu’on l’aime !

Bonne nouvelle à vérifier, quand même. Ma conscience profesisonnelle est célèbre jusqu’à l’ouest des Pecos : pas question pour moi de répéter un truc sans être bien sûr de l’avoir lu dans les journaux ou entendu à la télé ! Mais pas question non plus de monter dans cette Barque silencieuse remplie, si j’ai bien compris, d’enfants morts, de petits oiseaux et de bulots à l’ail.

C’est Lançon qui révèle la recette secrète de la quignardise : « En dire le moins possible à propos des choses les plus insolites possibles, pour séduire le plus possible. » Et encore : « Quignard semble dire : je ne suis pas de ce monde – mais pour l’attirer. »

De la méchanceté comme je l’aime : classieuse et pointue. De quoi me réconcilier avec Libé et la critique littéraire. Si celle-ci a une raison d’être, c’est du moins celle-là[3. La tournure est élégante, n’est-ce pas ?] : nous faire comprendre pourquoi tel écrivain nous gonfle – ou nous gonflera.

Je conçois aussi que c’est dur parfois de mettre un an à pondre un œuf aussitôt « cassé » par des Brice de Nice de la critique. Mais je suis pas ministre non plus ; je suis juste là pour donner mon avis sur tout, euh, un peu comme François de Closets[4. Irresponsable, c’est ça, je cherchais le mot !]…

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