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« Contrepoint », pionnier du réarmement intellectuel

Les archives de la revue Contrepoint disponibles en ligne


« Contrepoint », pionnier du réarmement intellectuel
DR.

En mai 1970 sortait le premier numéro de la revue Contrepoint. Durant cinq années, ce trimestriel a offert un exemple d’intégrité, de rigueur et d’exigence intellectuelle à contrecourant de la doxa soixante-huitarde. Toutes ses archives sont désormais consultables en ligne.


Contrairement aux mousquetaires qui étaient quatre, eux sont trois, Georges Liebert, Patrick Devedjian et Pierre-Marie Dioudonnat. Ils se sont connus à Sciences Po, puis, ensemble, ils ont créé la revue Contrepoint. Le premier numéro paraît en mai 1970, deux ans mois pour mois après le pic des convulsions estudiantines que l’on sait. Il s’agit pour ces trois-là de « réagir face à cette pseudo révolution » qui, se prétendant une « explosion de liberté », allait se traduire dans les faits par « l’appesantissement du conformiste de gauche et d’extrême gauche qui dominait la vie intellectuelle parisienne depuis les lendemains de la guerre ». Et qui la domine encore de nos jours, serait-on tenté d’ajouter.

21 numéros

En cinq années d’existence et vingt et un numéros, la revue trimestrielle, qu’on situera dans la mouvance aronienne, s’il faut absolument la situer, aura été avant tout un sanctuaire, un conservatoire de la pensée libre, un lieu, un carrefour où seules semblaient être de rigueur l’intégrité intellectuelle et la hauteur de vue, exigences mentales que ces temps post-soixante-huitards s’ingéniaient à sacrifier, non sans succès d’ailleurs. Si la filiation aronienne est à affirmer, c’est bien en cela qu’elle doit l’être, Liebert, Devedjian et Dioudonnat ayant fait le choix – iconoclaste à l’époque – d’avoir raison avec Aron plutôt que tort avec Sartre.

L’index des quelque cent-soixante auteurs qui ont nourri Contrepoint ces cinq années à tout, pour les gens de ma génération, d’une forme de Panthéon. Ce sont, pour n’en citer que quelques-uns, André Amalric, Philippe Ariès, Raymond Aron bien sûr, Emmanuel Berl, Pierre Chaunu, Pierre Boulez, Jean Daniélou, Jacques Ellul, Alfred Fabre-Luce, Marc Fumaroli, Alfred Grosser, Jean Guitton, Emmanuel Leroy-Ladurie, Simon Leys, Alexandre Soljenitsyne, Manes Sperber, Denis de Rougemont, Pierre Nora, Patrick Modiano…

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Une diversité, une richesse qui fait que chaque livraison est à soi seule une aventure intellectuelle, un foisonnement d’approches, de sensibilités, de regards, d’idées dont la seule préoccupation semble bien avoir été la fidélité à l’intention originelle : faire front face au « réseau de plus en plus dense de conventions, de tabous et d’interdits ». Ces mots sont d’hier. Ils pourraient être du jour, assurément.

Au vrai, quoi de plus actuel que Contrepoint ? Quoi de plus nécessaire aujourd’hui que « cette entreprise d’insubordination à l’air du temps et de libre réflexion » ?

Prémonitions

Nombre de constats établis alors sont toujours d’actualité. « Chacun sait qu’au regard d’une certaine orthodoxie, depuis longtemps triomphante, il existe de bonnes et de mauvaises violences, qui font de bonnes ou de mauvaises victimes, celles qui sont utilisables et celles qui ne le sont pas. Mais il y a aussi, en fonction d’une censure impersonnelle, singulièrement puissante, les vérités qu’on doit énoncer et celles qu’il faut taire, les faits qu’il est loisible d’évoquer et ceux qu’il est inopportun de faire connaître. »

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Fort judicieusement, le premier numéro de Contrepoint traite de la jeunesse. On y lit en particulier ceci : « La jeunesse est devenue un fléau, organisée en bandes qui multiplient vols et agressions. » Il s’agissait en l’occurrence de la jeunesse florentine des débuts de la Renaissance. Ce pourrait être la nôtre en mille lieux du pays. Tout aussi pertinent et d’actualité, ce diagnostic : « Combien se révoltent parce qu’il manque à ceux qui les entourent une force assez grande pour les obliger à la reconnaître. »

Dans le dernier numéro, Henri de Bodinat livre un article titré : « Les entreprises multinationales, mythes et réalités ». Il ouvre son papier en évoquant Arnold Toynbee pour qui « la firme multinationale pourrait un jour succéder à l’État-nation comme forme d’organisation dominante ». Et l’auteur d’ajouter : « Sa prophétie rejoint celle, plus mécanique, de Perlmutter qui voit l’économie mondiale dominée par deux cents géants en 1990… » Cela est écrit dans Contrepoint, rappelons-le, en 1975.

Les archives de la revue sont désormais consultables en ligne, et gracieusement. Initiative remarquable, opportune. Maintenant peut-être plus que jamais. Ne serait-ce que pour nous rappeler qu’œuvrer en vue du réarmement intellectuel du pays n’est jamais éloigné du sort fait à Sisyphe, ce pauvre mortel condamné à pousser sans fin son satané caillou. Un défi toujours recommencé. Un défi que, nous autres à Causeur, nous nous plaisons à faire également nôtre. Tant il est exaltant.

Lire ou relire la revue Contrepoint sur : https://revuecontrepoint.fr/

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Ex-prof de philo, auteur, conférencier, chroniqueur. Dernière parution : « Moi, papesse Jeanne », éditions Scriptus Malvas

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