La ministre du Travail, Astrid Panosyan-Bouvet, a proposé mardi sur TF1 que certains retraités contribuent davantage au financement de la protection sociale pour alléger la pression sur les actifs et garantir la pérennité de la Sécu. Cette suggestion, qui a immédiatement suscité une vive réprobation, visait simplement à adapter le système de solidarité intergénérationnelle aux défis actuels du vieillissement de la population. Les Chinois entendent dominer l’économie mondiale, les Américains conquérir Mars, le peuple français, lui, a une ambition moins flamboyante: sa retraite… Il sort de l’histoire.
L’idée d’Astrid Panosyan-Bouvet de taxer les retraités les plus aisés est-elle totalement absurde ? Tout le monde tire à vue sur la malheureuse ministre du Travail. Dans l’un des pays plus taxés du monde, on est tous d’accord, basta : on n’en peut plus d’être taxés. Sauf qu’on ne reviendra pas à un endettement supportable de façon indolore. La France s’est collectivement appauvrie. La plupart d’entre nous devront (ou doivent déjà) accepter un appauvrissement individuel. Raconter qu’on va réduire la dette en augmentant le pouvoir d’achat, c’est mentir.
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Pas nous ! Pas nous !
Tout le monde se dit d’accord pour réduire les dépenses, sauf au cas par cas par tous les bénéficiaires desdites dépenses et leurs porte-parole politiques. À chaque fois qu’on veut faire quelque chose, c’est un festival de panous panous ! Tapez plutôt, sur le voisin, s’il vous plait ! Il est impossible de toucher à l’Etat social sans déclencher hurlements et gémissements. Quant aux multiples agences et emplois publics inutiles, j’attends le gouvernement qui sortira la tronçonneuse. Pour cela, il lui faudrait une majorité au parlement, autant dire que cela n’est pas pour demain.
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En France, non contents de beaucoup taxer, on taxe mal. Si l’impôt est un instrument de politique économique comme je l’ai appris à Sciences-Po, peut-être faut-il revoir la répartition de la charge entre actifs et inactifs, pour retrouver un peu de croissance notamment.
Il ne s’agissait pas d’aligner tous les retraités…
Mais, il y a beaucoup de retraités pauvres. Raison pour laquelle il ne faut pas frapper indistinctement. La piste suggérée par Astrid Panosyan-Bouvet, sans doute discutable, peut-être pas la meilleure, prévoyait un seuil à 2000 euros de pension. Les retraités au-dessus de ce seuil ont généralement épargné, et acheté leur logement. Un excellent papier du Parisien montre que la meilleure solution serait la suppression de l’abattement de 10% pour frais professionnels (une des milles aberrations fiscales !) pour 4,6 milliards.
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Reste une réalité incontournable. Le niveau de vie moyen des inactifs est plus élevé que celui des actifs si on intègre le patrimoine. Certes, la moyenne ne rend pas compte de situations individuelles terribles. Il y a des retraités pauvres comme il y a des travailleurs pauvres. C’est un enjeu anthropologique. Tandis que les jeunes actifs doivent s’exiler des centres-villes et que beaucoup ne font pas d’enfants faute de revenus suffisants ou de logement convenable à une famille, les grandes villes sont peuplées de retraités prospères devenus un marché juteux pour l’industrie du tourisme et des loisirs.
Or, on dirait que rien n’est plus sacré en France que la retraite. C’est le seul programme consensuel parmi nos députés actuels : revenir sur une loi plutôt timide, rediscuter une réforme des retraites qui n’était pourtant pas franchement révolutionnaire. Dans notre société vieillissante, les retraités sont nombreux donc électoralement puissants. Quand nous refusons de travailler quelques mois de plus ou de percevoir un peu moins (pour ceux qui le peuvent, comme le recommande Mme Panosyan-Bouvet), nous condamnons des jeunes à payer plus de cotisations, à différer leur accession à la propriété ou leur troisième enfant.
On dit souvent que le degré de civilisation d’une société se mesure à la façon dont elle traite ses vieux. Mais un pays qui sacrifie sa jeunesse renonce à son avenir.
Cette chronique a d’abord été diffusée sur Sud Radio
Écoutez Elisabeth Lévy dans la matinale.