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Ailleurs qu’en France, l’herbe serait-elle plus verte?

Des Village People à l’Assemblée nationale : le grand écart de nos tolérances politiques...


Ailleurs qu’en France, l’herbe serait-elle plus verte?
Le président élu Donald Trump danse avec les Village People lors d'un rassemblement avant la 60e investiture présidentielle, le dimanche 19 janvier 2025, à Washington.

Trump qui danse sur YMCA fascine certains, alors qu’ils sont intraitables avec les facéties de nos politiques français. Philippe Bilger s’interroge…


Ce n’est pas d’aujourd’hui que je m’interroge sur mon étrange indulgence à l’égard de certains chefs d’État et présidents étrangers et sur ma sévérité à l’encontre de certaines personnalités politiques françaises. J’avais déjà remarqué que des comportements et postures vulgaires ici ou là, sur le plan international, ne m’avaient pas choqué autant que j’aurais dû l’être si j’avais été le citoyen français habituel. Comme si ce qui se déroulait ailleurs bénéficiait en quelque sorte d’une immunité de principe et d’un droit à la différence !

Je crois en réalité que ma mansuétude a des ressorts plus profonds. Elle tient au fait qu’il y a des univers politiques et démocratiques (si on en accepte une définition large) tellement lointains dans tous les sens du terme qu’il serait absurde de les appréhender de la même manière que les nôtres. C’est encore plus vrai si on se rapporte au tempérament des dirigeants et à l’unité ou non de leur caractère. Par unité j’entends le contraire de la théorie des « deux corps du roi » qui distingue, pour schématiser, le chef public et l’être privé. Les vertus du premier et le respect qui lui est dû en tant que tel, étant sans lien avec les forces et les faiblesses du second.

Donald Trump, un transgresseur loin des conventions politiques

Les personnes de pouvoir qui bénéficient de ma compréhension ne se situent pas dans cet espace classique où on exige, par réflexe républicain, la division totale entre le responsable légitimé par l’élection et la personne privée. À rebours, j’apprécie de savoir que l’être qui se montre est homogène ; à aucun moment on ne pourra craindre qu’il y ait une déperdition si le bloc se fissure et laisse au rancart des aptitudes fondamentales au prétexte qu’elles ne relèveraient pas du registre politique. À l’issue du grand rassemblement républicain organisé par Donald Trump la veille de son intronisation, quand le groupe Village People monte sur scène et que le président discrètement esquisse quelques pas de danse, je ne trouve pas cette image ridicule.

Parce qu’il y a un lien évident, irréfragable, entre le Donald Trump ayant cette attitude peu conventionnelle et celui qui n’hésitera pas à respecter ses engagements, grâce à ce qu’il est dans un ensemble humain, psychologique et intellectuel impossible à dissoudre. 

D’autant plus que pour un être comme lui, transgresser, surprendre ne font pas peur mais stimulent. C’est parce que Donald Trump est « un seul corps » que le meilleur pourrait surgir de lui, à cause du pire (ou du singulier, si l’on veut faire preuve de modération !) dont il est dépositaire. Ils sont quelques-uns à représenter ainsi des personnalités moins clivées en côté cour et côté jardin, plus compactes, se mettant tout entières dans chaque facette de leur existence privée et publique.

J’éprouve une grande curiosité pour ces territoires inédits de la politique. Dans ma liste, je pourrais mettre ces dirigeants d’Amérique du Sud, Javier Milei pour l’Argentine, Nayib Bukele pour le Salvador, Daniel Noboa pour l’Équateur, qui, dans des genres différents et avec des problématiques spécifiques – l’économie pour le premier, la sécurité et la lutte contre le narcotrafic pour les seconds – sont en train de frapper les opinions publiques internationales par leurs résultats. Mais surtout par l’expression d’une énergie tellement puissante qu’elle embarque tout leur être sans qu’il y ait la moindre pause pour laisser se reposer l’homme en charge du destin d’un pays.

La politique française et ses personnalités plus en réserve ?

Sans que j’approuve forcément les politiques mises en œuvre, ce qu’un observateur de bonne foi peut remarquer en France justifiera je crois mon point de vue. Il serait inepte de nier que dans notre pays, à des postes importants, il existe des personnalités fortes, des caractères trempés. Par exemple Bruno Retailleau, Jean-Luc Mélenchon…

Mais notre régime démocratique, le poids médiatique, la sophistication de notre République avec ses pouvoirs et contre-pouvoirs, notre État de droit, une forme de bienséance refusant même qu’on tienne contre vents et marées les promesses d’une campagne présidentielle, les empêcheraient d’engager leur être total au service de la France. Un zeste de décence les conduirait à laisser un peu d’eux-mêmes hors du service de l’État.

Rétrospectivement, revenons à Nicolas Sarkozy. S’il y a eu des circonstances politiques, des crises financières européennes, des conflits mondiaux où sa personnalité a fait merveille parce que l’ordinaire parfois discutable de sa personne a été tourné vers une efficacité et une action présidentielles maximales, combien aussi d’échecs où la frilosité l’a saisi et où, malgré lui et l’image d’énergie absolue qu’il donnait, il a calé !

Pour avoir hélas compris qu’en France, même au comble d’un trop rare courage, aucun projet politique ne serait mené à bien dans toute sa rigueur, je suis naturellement enclin à m’attacher à ceux qui, dans le monde, ont au contraire cette audace jusqu’à la provocation, cet extrémisme jusqu’à la démesure. Il est clair que dans le meilleur des cas ils ne sont pas ligotés par une démocratie comme la nôtre, et que dans le pire, s’ils réussissent, on peut leur pardonner un temps de se prendre pour l’État. Le Salvador est-il si loin de nous ?

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Magistrat honoraire, président de l'Institut de la parole, chroniqueur à CNews et à Sud Radio.

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