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Rico et Baron: un bœuf dans les nuages

Les Dessous chics


Rico et Baron: un bœuf dans les nuages
DR.

Chaque semaine, Philippe Lacoche nous donne des nouvelles de Picardie…


Voilà ce que c’est quand on est romancier ou nouvelliste. On fait vivre ou revivre des personnages, des amis, des méconnus obscurs ou célèbres, puis ils meurent. C’est affreux ; on est triste ; on mélancolise comme un Blondin sans verre ou comme un Kléber Haedens sans sa Caroline. C’est ce qui m’est arrivé avant Noël. Ce n’est guère original, comme beaucoup, je suis triste à cette période de l’année. Je me suis mis à repenser à Michel L., un copain d’école (collège Joliot-Curie, Tergnier, dans l’Aisne), puis de bals (il était un brillant accordéoniste et chanteur ; je m’esquintais les doigts sur ma guitare Elli Sound, copie Gibson SG à cornes de zébu). Cela se passait dans les années soixante-dix. Michel et moi – qui rêvions de rock’n’roll, de Keith Richards, de Brian Jones, d’Al Wilson, de Bob Hite, de Nick Drake et de quelques autres – étions devenus musiciens de bal afin d’acheter nos instruments et d’arrondir nos fins de mois pour dépenser nos francs en buvant des bières Stella ou Porter chez Berto ou au Rimbaud, cafés de Fargniers (Aisne). Les années passèrent ; il devint CRS, quitta la compagnie, puis chemina, erra peut-être. Je devins journaliste dans la presse rock et à L’Aisne Nouvelle. En 1994, lorsque j’appris sa mort, emporté par l’excès de Gauloises sans filtre, tout me revint dans la tronche. J’avais commencé à écrire des bouquins. Il me fallait laisser une trace de ce garçon épatant, généreux, au rire cristallin de peintre italien.

J’écrivis en trois mois Des petits bals sans importance ; Dominique Gaultier et le Dilettante eurent l’amabilité de le publier ; Sempé nous donna une couverture sublime, avec, en fond de l’œuvre, cette affiche qui signifiait qu’il avait tout compris : « Grand bal avec Georges Pouni et ses rythmes. 13-14 juillet, salle Boudot. » Notre orchestre, les Karl Steevens, de Gibercourt, dans l’Aisne (qui sont devenus les Franklin, frères jumeaux, batteur et organiste ?), je le transformais en Hans Eder ; Michel se transforma en Rico. François Angelier rédigea, comme à son habitude, un prière d’insérer doux et sensible : « Rico est là, sous la dalle, mort. Sa binette de gitan dégaine encore un sourire grinçant dans l’ovale sépia qui orne sa tombe. » Sa tombe, j’ai voulu la revoir, avant Noël dernier. J’ai pris ma Twingo et invité ma sauvageonne, mon amoureuse à me suivre ; direction le cimetière de Beautor (Aisne, celle des ALB – Aciérie Laminoirs de Beautor – où Rico travailla, peu avant sa mort). Il faisait froid, humide, presque nuit. Rico était là, sous la dalle. Toujours son sourire ; je me suis mis à lui parler pour que rien ne meure, pour que rien ne s’oublie de toutes ces années mortes ; ces années de cendre et de bière. Ma sauvageonne me regardait.

Il y a quelques jours, Joël C., un saxophoniste-flûtiste d’Eppeville (Somme) avec qui j’avais joué dans son groupe de free-jazz, Koït, à la fin des seventies, passa à son tour à l’Orient éternel des musiciens. Joël, avec ses sandwiches au camembert avec lesquels il empestait tout le lycée Henri-Martin de Saint-Quentin ; Joël, manière d’avant-gardiste à la tête d’Indien, qui découvrait tout avant tout le monde (la musique brésilienne, Soft Machine, etc.), en tout cas avant nous les apprentis musiciens du café des Halles, chez Odette, à Saint-Quentin. Je l’avais baptisé Baron dans mes romans La promesse des navires (Flammarion, 1998) et Les Ombres des Mohicans (Le Rocher, 2023). Dans ce dernier, il faisait de la mobylette bleue comme Brian, le héros de l’histoire. Je vous salue, Rico et Baron ; vous allez vous retrouver, sortir les instruments et faire un bœuf magnifique dans les nuages. Faites chauffer mon ampli Bandmaster Fender ; je ne vais tarder à vous rejoindre.

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Il a publié une vingtaine de livres dont "Des Petits bals sans importance, HLM (Prix Populiste 2000) et Tendre Rock chez Mille et Une Nuits. Ses deux derniers livres sont : Au Fil de Creil (Castor astral) et Les matins translucides (Ecriture). Journaliste au Courrier Picard et critique à Service littéraire, il vit et écrit à Amiens, en Picardie. En 2018, il est récompensé du prix des Hussards pour "Le Chemin des fugues".

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